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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/23

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LE BRACELET DE FER

Fiermont, Réjanne chantait comme une diva ; elle eut fait fortune sur le théâtre, si elle eut été obligée de gagner sa vie.

Paul était dans l’admiration. Il eut été impossible aussi de ne pas admirer Réjanne, non seulement pour sa voix, mais à cause du charme qui émanait d’elle. On devinait qu’elle était douce autant que belle, et peut-on s’étonner que ce jeune homme, qui avait passé sept ans loin de la civilisation, pour bien dire, à parcourir forêts et dunes, fut ravi de trouver, en sa compagne de jadis, une si exquise jeune fille ?

— Eh ! bien Paul, demanda Delmas Fiermont, en revenant de chez les Trémaine, ce soir-là, as-tu passé une agréable soirée ?

— Certes, oui, mon oncle ! M. et Mme Trémaine sont si charmants, si hospitaliers !…

— L’hospitalité de La Solitude est presque proverbiale, Paul, répondit Delmas Fiermont. Puis il ajouta : Et Réjanne ?…

Mlle Trémaine est exquise, exquise, oncle Delmas !

Inutile de dire si ces paroles rendirent Delmas Fiermont heureux. Qui sait ?… Peut-être que son rêve se réaliserait un jour ? Quelle nièce idéale ferait Réjanne !

— Mais quel est cet Anatole Chanty, oncle Delmas ? fit Paul. Le neveu de Mme Trémaine… D’où vient-il celui-là ?

— Il demeure quelque part dans la province d’Ontario, je crois… Il a couru certains bruits, déjà : on a prétendu qu’il courtisait sa cousine Réjanne, et qu’il espérait l’épouser un jour…

— Qu’Anatole Chanty soit amoureux de Mlle Trémaine, cela se comprend ; mais pour croire que l’exquise Réjanne se laisserait courtiser par pareil imbécile !…

Delmas Fiermont sourit sous sa moustache. Cette exclamation de son neveu prouvait que celui-ci admirait déjà beaucoup Réjanne ; il en était rendu même à donner des petits noms à celui qui pouvait devenir son rival… Pas un rival bien dangereux cependant : Anatole Chanty, s’il n’était pas tout à fait imbécile, serait incapable, dans tous les cas, de lutter avec Paul Fiermont.

Enfin, nous le répétons, l’oncle Delmas était heureux. Son rêve se réaliserait un jour, bientôt peut-être : Paul épouserait Réjanne !

Chapitre VI

CHARMANTE PERSPECTIVE


La nouvelle du retour de Paul Fiermont s’était répandue rapidement, aussi bien dans la banlieue que dans la ville de Québec. Le diner chez les Trémaine fut le prélude de bien d’autres diners, réceptions et soirées, donnés en son honneur.

Quand on est le neveu d’un millionnaire et son futur héritier, les amis et amies ne font jamais défaut. D’ailleurs, Paul devint immédiatement fort populaire ; les jeunes gens se faisaient un plaisir de le présenter à leurs divers clubs ; quant aux jeunes filles… elles se mettaient certainement en frais pour lui.

Tout d’abord, ce genre de vie, si contraire à celui qu’il avait mené jusque-là, ne plaisait guère à Paul ; mais comme il rencontrait Réjanne à presque tous les diners, réceptions et soirées, il y prit bientôt goût. Déjà, quelques chuchotements concernant les deux jeunes gens se faisaient entendre, par-ci, par-là, et même, les uns prétendaient qu’ils étaient fiancés. Mais c’était aller trop loin et trop vite.

Réjanne et Paul se rencontraient souvent dans leurs chevauchées. Réjanne faisait une belle et fière amazone, montée sur un magnifique pur-sang, et Paul, inutile de le dire, était aussi à l’aise à cheval qu’assis dans le fauteuil le plus confortable. Que de courses ils firent tous deux, accompagnés de Daniel, le domestique des Trémaine.

— Savez-vous, tante Jeanne, dit un jour Anatole Chanty à Mme Trémaine, qu’on commence à jaser quelque peu, sur le compte d’une personne qui… vous intéresse ?

— À jaser ?… Une personne qui m’intéresse ? s’exclama Mme Trémaine. Seigneur ! Anatole, tu devrais bien prendre l’habitude d’aller franchement au but, dans tes discours ! Ces détours…

— Eh ! bien, j’irai droit au but, puisque vous le désirez, tante Jeanne… On commence à faire des… contes, à propos de Réjanne…

— À propos de Réjanne ! De ma fille !

— Mais, oui ! Son nom est sans cesse accolé à celui de Paul Fiermont, de cet aventurier qui…

— Mon pauvre Anatole, répondit Mme Trémaine, si Réjanne est vue souvent en la compagnie de M. Paul Fiermont, c’est avec notre consentement, à son père et à moi.

— Vraiment ! fit Anatole Chanty, feignant une surprise qu’il ne ressentait nullement… Pourtant, sait-on quelle vie il a menée, depuis sept ans, ce type ?… Ciel ! Songez-y ! Peut-être ce jeune homme qui, en si peu de temps, est devenu si populaire, ce garçon à qui vous confiez votre fille… il ne serait pas surprenant qu’il fut un voyou ou criminel de la pire espèce !

— Je n’ai pas de ces préjugés, Anatole.

— Préjugés !… Que parlez-vous de préjugés, tante Jeanne, quand votre fille Réjanne a le mot « préjugé » écrit sur toute sa personne ! s’écria Anatole.

— Peut-être… fit Mme Trémaine. Mais, ajouta-t-elle, avec un sourire qui aurait pu paraître un tant soit peu méchant, mais qui n’était qu’amusé, ses préjugés, à Réjanne, ne vont pas jusqu’à lui faire fuir la société de M. Paul Fiermont… quoiqu’il ait mené une vie aventureuse depuis sept ans.

— Vous vous moquez de moi, tante Jeanne ! Tout de même, vous avez tort, croyez-le, de ne pas surveiller Réjanne et lui défendre la société… presque journalière de ce type, qui, en fin de compte vous est inconnu, puisqu’il n’avait, m’avez-vous dit, que quinze ans, lorsqu’il s’est lancé dans la vie aventureuse. Ces promenades à cheval…

— N’oublie pas, mon neveu, dit Mme Trémaine, avec un léger bâillement (car Anatole avait le don de l’ennuyer, bien souvent), que toujours, Réjanne est accompagnée du fidèle Daniel, lors de ces promenades à cheval. Et puis, pourquoi ne les accompagnes-tu pas toi-même ?