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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/24

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LE BRACELET DE FER

Il y a des chevaux de selle dans l’écurie et…

Mme Trémaine, en disant ceci, ne put s’empêcher, encore une fois, de sourire : elle savait bien qu’Anatole n’avait jamais pu conduire un cheval et qu’il ne savait pas se tenir en selle. Il avait fait divers essais déjà, mais sans succès.

Le fait est que ce jeune homme, toujours si prêt à calomnier Paul Fiermont, quand celui-ci n’était pas présent pour se défendre, Anatole dis-je, était un peureux. S’il se fut trouvé soudain en face de Paul, il eut pâli et tremblé, tout comme il l’avait fait les quelques fois qu’il avait essayé de monter à cheval. Ce garçon n’aimait presque aucun genre de sport ; il préférait figurer dans les salons, à conter fleurette aux jeunes filles, qui se moquaient de lui généralement ; il aimait aussi, et surtout, à déblatérer sur le compte de son prochain. Charmant individu, assurément ! Mais, presque tous ces « petits chéris à sa maman » sont ainsi ; leur arme, leur défense, c’est leur langue, arme aigüe cependant et à deux tranchants comme les patous-patous des Néo-Zélandais ; une arme dont on ne saurait trop se défier.

Mme Trémaine ne fit pas grand cas des « conseils » de son neveu. Au fond, elle savait qu’Anatole aimait follement Réjanne ; mais jamais, ni elle (Mme Trémaine) ni son mari n’auraient approuvé d’une union entre cousins germains. Ensuite, Anatole Chanty, quoiqu’il fut en position de se marier et de faire vivre sa femme convenablement et confortablement, était un assez piètre parti, si on le comparait au neveu de Delmas Fiermont, le millionnaire. Or, les Trémaine n’étaient pas riches. Ils avaient juste assez de fortune pour pouvoir maintenir leur position et parvenir à « joindre les deux bouts ». La Solitude coûtait gros d’entretien par année, et les domestiques qu’il leur fallait employer, cela coûtait aussi une petite fortune. Donc, quelle charmante perspective pour les époux Trémaine que le mariage de leur fille avec le neveu et héritier du millionnaire ! Ce serait un immense soulagement pour eux de voir Réjanne mariée si richement, un jour, et installée au « château », où elle ne manquerait pas d’être heureuse.

D’ailleurs, malgré ce qu’avait insinué Anatole Chanty, M. et Mme Trémaine avaient une entière confiance en Paul Fiermont, et c’est sans crainte aucune, au contraire, avec le plus grand bonheur, qu’ils lui auraient confié leur fille chérie.

De plus, l’oncle Delmas raffolait de Réjanne ; il l’aimait comme si elle eut été sa propre enfant ; alors, il y aurait tout à espérer, de ce côté aussi.

Les deux jeunes gens continuaient à se rencontrer chaque jour, soit à cheval, soit à pied, soit à une réunion sociale quelconque.

Le Musée Fiermont avançait. Le millionnaire n’avait pas perdu de temps pour mettre maçons et ouvriers à la tâche. Surveillant lui-même les travaux, il n’y avait pas eu de chômage, et c’est pourquoi, le 17 janvier, tout était prêt pour l’inauguration de la nouvelle aile. La fête devait avoir lieu dans quinze jours et déjà le secrétaire de Paul s’était mis à l’œuvre et avait adressé plus de la moitié des invitations.

Enfin arriva la veille du grand jour, dont Delmas Fiermont, sans s’expliquer pourquoi, attendait d’heureux résultats, en ce qui concernait Paul et Réjanne. La jeune fille avait pris tant d’intérêt à l’inauguration ! Même, c’était elle et sa mère qui avaient choisi les rideaux, tentures et draperies du Musée. Bien sûr, Réjanne serait la reine de la fête, et sans doute, Paul saurait profiter de l’occasion pour la demander en mariage. Oh ! quel bonheur alors !

S’il était une chose au monde que Delmas Fiermont désirait, par-dessus toutes, c’était de voir son neveu marié ; Paul ne mènerait pas la vie solitaire qu’avait menée son oncle.

— Oh ! se disait-il, j’espère qu’avant de mourir je verrai Paul marié ! Si ça pouvait être avec Réjanne !… Tiens ! Le voilà !

— Bonjour, oncle Delmas ! fit le jeune homme, en entrant dans l’étude, l’air affairé.

— Bonjour, Paul ! Tu te démènes de la belle façon, répondit, en souriant Delmas Fiermont. Ne vas pas te fatiguer, au moins !

— Pas de danger, mon oncle !… Je veux que tout soit parfait demain. Longtemps, on parlera de l’inauguration du Musée Fiermont. Vous verrez ! Vous verrez !… Mais, je suis venu vous demander une adresse : celle de tante Berthe.

Un nuage passa, quoique rapidement, sur le front de Delmas Fiermont.

— Berthe Fiermont n’est pas ta tante, mon garçon, fit-il, un peu froidement ; elle n’est que ma cousine, à moi.

— Qu’importe ! s’écria Paul, qui n’avait pas remarqué l’air contraint de son oncle. Je ne veux pas manquer de l’inviter ; c’est déjà trop que je ne sois pas encore allé lui rendre visite à cette pauvre vieille demoiselle, notre parente, qui m’avait, en bien des occasions, donné des preuves de son affection, jadis… L’adresse, mon oncle !

À ce moment, Prosper vint dire au jeune homme que les décorateurs étaient arrivés avec les palmes et fougères, et qu’ils attendaient dans le Musée.

Paul partit à la course, et il fut tellement occupé durant le reste de la journée et jusqu’à l’heure du coucher, qu’il en oublia l’adresse de sa vieille cousine Berthe Fiermont.

Chapitre VII

LA PLACE D’HONNEUR


Ce n’est pas notre intention de parler longuement de l’inauguration du Musée Fiermont. Contentons-nous de dire que ce fut un réel succès. De quatre heures de l’après-midi à sept heures du soir, une foule défila dans le Musée, qui était à deux étages.

Le premier étage contenait des oiseaux et animaux empaillés, des minéraux de toutes sortes, des pièces de monnaie, des timbres, des armes offensives et défensives de presque tous les pays ; depuis le tomawak des Sauvages de l’Amérique du Nord, jusqu’au métrée des Australiens.