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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/26

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LE BRACELET DE FER

voir occuper toujours, fit Paul gravement. Ce n’est ni l’occasion ni le lieu de vous faire part de mes sentiments, je le sais, Mlle Réjanne ; mais, sans doute, vous avez deviné ?… Me permettez-vous de me présenter chez-vous jeudi, dans l’avant-midi ; c’est-à-dire après demain ? J’aimerais avoir avec vous un entretien important et sérieux… un entretien dont dépendra le bonheur de ma vie… Dites oui, Réjanne !

— Oui. Venez, après demain, dans l’avant-midi ; je vous attendrai, répondit-elle, en rougissant légèrement.

— Merci ! Oh ! merci ! s’écria Paul. Vous êtes un ange, Réjanne ! Je ne… Oui, mon oncle, nous venons ! s’interrompit-il.

Et plus d’un coup d’œil significatif s’échangea entre les invités, en voyant l’héritier de Delmas Fiermont conduire Réjanne Trémaine à la tête de la table et prendre place à ses côtés.

Chapitre VIII

UNE RENCONTRE


— Nous regrettons de ne pouvoir changer cette dentelle, Mademoiselle ; elle a été coupée, voyez-vous, et…

— Mais, je me suis trompée ! J’étais certaine que c’était le même patron que celle-ci… et j’en ai acheté cinq verges !

— C’est infiniment regrettable, Mademoiselle ! Nous ne pouvons pas changer cette dentelle, vu qu’elle est coupée. Ce serait une perte pour nous.

— Seigneur ! Que vais-je faire ?

— Nous pouvons vous vendre une dentelle semblable à la vôtre, si vous le désirez. Tenez, en voici ; c’est exactement le même patron.

— C’est inutile ; je ne pourrais faire pareille dépense.

La conversation ci-haut mentionnée s’échangeait dans un des principaux magasins de la ville de Québec, entre un commis et une vieille demoiselle ; cette dernière, modestement, ou plutôt pauvrement mise. À la dernière répliqué qu’elle venait de faire, sa voix avait tremblé ; on devinait qu’elle se trouvait dans un grand embarras.

À côté de la vieille demoiselle, et examinant des cravates, était un grand jeune homme. Tout d’abord, il n’avait prêté que peu d’attention à la conversation qui s’échangeait tout près de lui, mais, soudain, il se retourna, regarda fixement la vieille demoiselle, puis il s’écria :

— Tante Berthe ! Oui, c’est tante Berthe !

La vieille demoiselle se retourna, fort étonnée, mais tout à coup son visage s’illumina d’un sourire, et, à son tour, elle s’écria :

— Paul ! C’est Paul Fiermont, mon neveu ! Ô Paul, cher enfant, quel bonheur de te revoir !

— Chère tante Berthe ! Il y a si longtemps que je désire aller vous voir ! Mais j’ai été tellement occupé ! dit Paul.

— Je savais que tu étais revenu, répondit Mlle Fiermont, et, je t’avouerai franchement que je m’attendais, chaque jour, à recevoir une visite de toi… Cependant, ton oncle…

— Je ne vous perdrai pas de vue pour le reste de l’après-midi maintenant, fit Paul en riant. Si vous voulez bien vous hâter de faire vos achats, j’irai vous mener jusque chez vous, tante Berthe ; ma voiture est à la porte du magasin.

— Merci, Paul ! Cependant, ne te crois pas obligé de me mener chez moi, mon pauvre enfant. À présent que je t’ai vu et…

— Allons ! Allons ! Ne parlez pas ainsi, chère tante, ou je croirai que vous me gardez rancune de n’être pas encore allé vous rendre visite.

— Moi, te garder rancune ! Moi ! Cher Paul ! Quand je suis si, si heureuse de te revoir !

Le commis crut qu’il était à propos d’intervenir ici, dans l’intérêt du magasin. Au nom de Paul Fiermont, qu’avait prononcé la vieille demoiselle, il comprit qu’il avait affaire à un riche client ; il allait en profiter.

— Vous oubliez votre dentelle, Mademoiselle, dit-il, en s’adressant à Mlle Fiermont. Monsieur, reprit-il, s’adressant à Paul cette fois, il est bien regrettable que nous n’avons pu faire l’échange que désirait Mademoiselle. Mais, la dentelle était coupée et…

— Qu’est-ce ? demanda Paul.

— Ce n’est rien, rien, Paul ! répondit Mlle Fiermont, en reprenant sa dentelle.

— Pardon, Monsieur, fit le commis ; Mademoiselle avait acheté cinq verges de dentelle noire ici, l’autre jour, mais elle s’était trompée de patron. Aujourd’hui, elle désirait échanger la dentelle, or… Voici la dentelle que Mademoiselle voulait appareiller.

— C’est bien, coupez-en dix verges, et remettez-les à Mlle Fiermont, dit Paul. Dépêchez-vous, s’il vous plaît !

— Dix verges ! Oh ! Paul, tu n’y penses pas !

Mais déjà, les dix verges de dentelle étaient coupées (fiez-vous au commis pour cela) ! et le compte remis au jeune homme, qui, après l’avoir payé, offrit le bras à sa tante pour la conduire à sa voiture.

Si ce jeune homme, mis à la dernière mode, donnant le bras à cette vieille personne si pauvrement vêtue, attira l’attention du propriétaire du magasin, des commis et des clients, inutile de le dire ; mais, à Paul, cela était bien égal ; il n’eut pas eu honte de sa tante Berthe, quand bien même elle eut été couverte de haillons.

Arrivés dehors, Paul dit à Mlle Fiermont, en désignant sa voiture :

— Montez, tante Berthe !

Et l’on partit.

Arrivés devant un autre magasin, Paul arrêta ses chevaux, puis il descendit de voiture et dit à sa compagne :

— J’ai affaire ici. Voulez-vous m’accompagner, tante Berthe ?… Le fait est que j’aurais besoin de vos conseils, à propos de certains achats que j’ai à faire. Voulez-vous venir ?

— Mais, certainement, Paul ! Si je puis te rendre service, je ne demande pas mieux.

Aussitôt entrés dans le magasin, Paul dit à demi voix à Mlle Fiermont :

— Maintenant, suivez-moi, tante Berthe, et