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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/27

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LE BRACELET DE FER

ne protestez pas… contre mes achats. Venez !

— Protester ? Mais, mon cher enfant !…

— Venez, tante Berthe !

Bientôt. Paul eut conduit Mlle Fiermont dans un département de robes et de manteaux.

— Cette dame désire voir vos robes et manteaux, dit-il au commis, en désignant Mlle Fiermont. Ce que vous avez de mieux, s’il vous plaît !

— Paul ! essaya de protester Mlle Fiermont.

— Chut ! Vous avez promis de ne rien dire, rappelez-vous-en, fit le jeune homme en souriant.

Bref, quand ils sortirent du magasin, ils portaient, tous deux, divers paquets : il y avait deux robes, un manteau, des bas, des gants, des souliers, des mouchoirs en toile fine, etc., etc. En vain, Mlle Fiermont avait-elle essayé de protester, Paul avait fait la sourde oreille.

Comment son oncle Delmas pouvait-il ainsi laisser sa cousine Mlle Berthe Fiermont, dans la pauvreté ? Il était millionnaire ; il passait pour être très libéral, très généreux, et sa cousine, la seule parente qu’il eut au monde, à part son neveu, se promenait dans les rues de la ville, vêtue plus pauvrement que les domestiques de sa maison. Paul ne se permit pas de juger son oncle ; tout de même, l’attitude de ce dernier envers sa cousine avait quelque chose de, pour le moins, étrange.

Lorsqu’ils furent parvenus à destination, c’est-à-dire dans une des rues les plus pauvres, les plus obscures de la ville, Mlle Fiermont donna à Paul l’adresse de la maison où elle avait sa chambre. Heureusement, la propriétaire de la maison, Mme Grondeau, était une excellente personne, tenant sa petite demeure avec une extrême propreté.

En voyant arriver sa pensionnaire en voiture à deux chevaux, accompagnée d’un jeune homme qui semblait appartenir « à la haute gomme » Mme Grondeau avait ouvert tout grand son salon, dont elle ne se servait que dans les occasions extraordinaires.

Mme Grondeau, dit Mlle Fiermont, en désignant Paul, voici mon neveu. M. Paul Fiermont ; celui qui…

— Celui dont vous m’avez entretenue si souvent, Mlle Fiermont, répondit Mme Grondeau, en souriant. Entrez, Mademoiselle et Monsieur, ajouta-t-elle, en indiquant le salon. Je mets cette pièce à votre entière disposition et je verrai à ce que vous ne soyez dérangés par qui que ce soit. (Ce qui était une assurance inutile, car aucun des pensionnaires de Mme Grondeau n’eut osé mettre le pied dans le salon de cette dame, sans sa permission ; Mlle Fiermont le savait bien, et elle ne put s’empêcher de sourire).

Paul fut plus d’une heure avec sa vieille cousine. Lorsqu’il la quitta, il savait à quoi s’en tenir sur le froid qui existait, depuis deux ans, entre son oncle Delmas et sa tante Berthe.

À venir jusqu’à il y avait deux ans. Mlle Fiermont avait toujours été la très bienvenue au « château ». Mais un jour, en arrivant chez son cousin, elle ne le trouva pas dans son étude, où il avait l’habitude de se tenir ; ce que voyant, elle se dirigea vers la bibliothèque.

Or, arrivée à la porte de la bibliothèque, elle s’arrêta, pétrifiée par la surprise… et la compassion, car, de cette pièce lui arrivaient des sons étrangers, comme des plaintes, des gémissements.

— Ciel ! s’était-elle dit, Delmas est là-dedans, et il est malade !

Sans même prendre le temps et la précaution de frapper, elle ouvrit la porte, et ce qu’elle vit la cloua littéralement sur place : Delmas Fiermont, le millionnaire si envié de tous, assis près de son pupitre, la tête appuyée sur ses deux bras repliés, sanglotait comme un enfant…

— Delmas ! avait crié Mlle Fiermont. Mon Dieu ! Qu’y a-t-il ?

Au son de cette voix, l’oncle de Paul s’était levé, et jamais sa cousine ne pourrait oublier le visage de Delmas Fiermont, en ce moment, tant il exprimait de désespoir et de secrète souffrance.

Mais, pâle, les yeux remplis de colère, soudain, le geste brusque, il s’écria, s’adressant à sa cousine :

— Berthe ! Que fais-tu ici ? Et qui t’a permis de prendre tant de libertés dans ma maison ?

— Ô Delmas, je t’en prie, pardonne-moi !… Je t’ai entendu te plaindre, et j’ai cru que tu étais souffrant.

— Permets-moi de te dire que ce ne sont pas précisément de tes affaires ce qui se passe chez moi, avait répondu Delmas Fiermont, d’une voix qui tremblait de colère, et puisque tu abuses de l’hospitalité que je t’ai toujours accordée, jusqu’ici, je… je… te chasse !

— Et c’est tout, Paul, acheva Mlle Fiermont. Inutile de le dire, je n’ai jamais, depuis, essayé de franchir le seuil du « château ». Certes, je ne lui en veux pas à ton oncle… Il m’a mal jugée, tout simplement.

— Mais, tante Berthe, pourquoi mon oncle sanglotait-il ainsi ?

— Je ne sais pas, Paul… C’était terrible de le voir et de l’entendre ; ça me brisait le cœur, d’autant plus que j’ai toujours soupçonné ton oncle d’être en proie à une peine secrète… Mais, peut-être qu’il s’ennuyait seulement, seul dans son grand « château »… Prosper m’avait dit, d’ailleurs, que ton oncle s’ennuyait beaucoup de toi, Paul. Comme il doit être heureux de t’avoir avec lui maintenant ! Ne le quitte plus, cher enfant.

— Mon oncle est bien bon pour moi ; il me gâte littéralement, tante Berthe… Cependant, je regrette infiniment qu’il y ait eu ce malentendu entre vous et lui. Voulez-vous que j’essaie de lui expliquer…

— Non ! Non ! Ça ne servirait à rien, crois-le, Paul !

— Eh ! bien, nous serons toujours amis, nous deux, n’est-ce pas ?… Et je reviendrai vous voir, je vous le promets !

Mais souvent, les promesses sont faites et ne sont pas tenues ; Paul, sans oublier tout à fait sa tante, ne retourna plus jamais la voir chez cette bonne Mme Grondeau.