Aller au contenu

Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
33
LE BRACELET DE FER

Paul comprit ce qui venait d’arriver et il devint très pâle. Le notaire Schrybe vit immédiatement la petite bague, à ses pieds, et Delmas Fiermont, s’il ne la vit pas, c’était à cause de la position qu’il occupait à table, et aussi parce que le notaire avait empêché le joyau de rouler plus loin en posant le pied dessus.

Cependant, l’oncle Delmas, s’il ne vit pas la bague, entendit le bruit qu’elle avait fait en tombant sur le plancher.

— Quelque chose est tombé par terre, Paul, dit-il ; quelque chose qui était dans l’enveloppe, je crois.

Ce fut dit d’un ton qui n’indiquait ni inquiétude ni soupçon, cependant.

— Je sais, mon oncle, répondit le jeune homme. C’est… Ah ! le voici !

Il s’empara de la bague et la glissa dans la poche de son veston, puis, sachant qu’il devait une explication à son oncle, s’il ne voulait pas exciter ses soupçons, il ajouta :

— C’est un de mes boutons de manchette ; je l’avais perdu, hier, sur la terrasse de La Solitude.

Ce disant, il montra à Delmas Fiermont le bouton de manchette qu’il avait, machinalement, mis dans la poche de son veston, lorsqu’il l’avait retrouvé, sur le promontoire, la veille.

— Une de tes perles noires ! C’eût été une grande perte que celle de ce joyau, Paul !

— Heureusement, Réjanne l’a trouvée, et elle me la retourne.

Ce tissu de mensonges qu’il se voyait obligé de fabriquer donnait à Paul de véritables nausées.

La lettre de Réjanne était très coûte ; elle ne contenait que ces mots :


« M. Paul Fiermont,

Le « Château »


Monsieur,

Vous l’avez compris, tout est fini entre nous. Je vous retourne votre bague ; demain, je vous ferai remettre vos autres cadeaux.

RÉJANNE.

P. S. — Inutile de vous le dire, n’est-ce pas, je ne soufflerai mot à qui que ce soit au monde de… ce que je sais.

R. T. »

Maintenant, il s’agissait de parler à son oncle comme s’il ne venait pas de recevoir un coup ; un coup à ses sentiments, et aussi à son amour-propre. Sa voix allait-elle trembler ? Il espérait bien que non !

— Réjanne préfère ne pas sortir à cheval ce matin, dit-il, d’une voix qu’il parvint à affermir. Cependant, elle se remet vite de ses fatigues, dit-elle. Elle me charge de saluts affectueux. pour vous, mon oncle, et aussi pour le notaire Schrybe.

Le Notaire, pour cacher son émotion et son embarras, depuis que la bague de fiançailles avait roulé jusqu’à ses pieds, tenait ses yeux fixés sur son assiette.

— Merci, répondit-il à Paul, sans même lever les yeux. Mlle Réjanne est bien aimable de se rappeler d’un vieillard comme moi !

— Oh ! s’écria Delmas Fiermont, Réjanne ne saurait manquer à la courtoisie, tu sais, Schrybe !

— Je viens de le constater, répondit le notaire, avec un sourire, qu’un homme plus clairvoyant que Delmas Fiermont eut trouvé contraint.

— Réjanne est un ange ! s’exclama Delmas Fiermont, en souriant et en jetant un regard à Paul, de qui il attendait, assurément, la confirmation de ce qu’il venait de dire.

Et Paul, de répondre, sans hésiter :

— Bien sûr, mon oncle, Réjanne est un ange !

Chapitre XIV

LE TIMBRE


Vers la fin du déjeuner, Delmas annonça :

— Paul, je me propose d’aller à Québec, avec mon vieil ami, ce matin ; je serai de retour vers les cinq heures, cet après-midi.

— Très bien, mon oncle ! répondit Paul. Si je n’avais pas la tête enveloppée de bandeaux, je vous accompagnerais.

— Nous devons partir à neuf heures juste, n’est-ce pas, Fiermont ? demanda le notaire, en regardant l’heure à sa montre.

Machinalement, ses yeux se portèrent sur une monumentale horloge, à l’une des extrémités de la salle à manger, puis il sourit.

— Je suis toujours porté à regarder l’heure à cette horloge, dit-il.

— Elle est arrêtée depuis près de dix ans, fit Delmas Fiermont. C’est la plus belle horloge de ma collection.

— Pourquoi ne la fais-tu pas réparer, alors ? demanda le notaire.

— Il y a longtemps que je me le propose, tu le penses bien ! Je devrais envoyer les mouvements en Suisse, afin de les faire réparer, et je néglige toujours de le faire. Je crois que je vais charger Paul de s’en occuper, dit Delmas Fiermont, en souriant à son neveu.

— Je m’en occuperai avec le plus grand plaisir du monde, mon oncle.

— Le timbre de cette horloge est si beau, si sonore ! Je me souviens, lorsque j’ai acheté cette horloge, il y a près de vingt ans de cela, des gens venaient de partout, rien que pour entendre résonner son timbre, et on affirmait, dans le temps, qu’on n’avait jamais entendu rien qui put lui être comparé.

— Ça vaut la peine de faire réparer l’horloge, alors, oncle Delmas ! fit Paul ; ne le pouvez-vous pas ?

— C’est l’idée de la faire démonter et d’envoyer les mouvements si loin qui m’ennuie… Mais, j’y pense ; la dernière fois que je suis allé à Québec, on m’a donné l’adresse d’un horloger, arrivé, tout récemment à la ville ; on m’a assuré qu’il répare les horloges à domicile et qu’il les répare bien ; de fait, on prétend que rien ne l’embarrasse. Je dois avoir sur moi le nom et l’adresse de cet horloger… Ah oui, la voilà ! Son nom c’est Alexandre Lhorians, j’irai peut-être le voir aujourd’hui… Y aurait-il quelque chose dont tu aurais besoin et que je pourrais t’apporter, de Québec, Paul ?