Aller au contenu

Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39
LE BRACELET DE FER

— Schrybe, tu ne crois pas aux pressentiments ?

— Mais, non ! lui répondais-je.

— Eh ! bien, moi, j’y crois, me disait-il. Ce timbre de la salle à manger… je l’entends toujours… Je crois véritablement que je n’entendrai pas sonner sept heures ce soir.

— Pauvre oncle Delmas ! sanglota Paul.

— Mon pauvre vieil ami ! soupira Georges Trémaine.

— Pauvre M. Fiermont ! ajouta Lucien Ivan.

— J’ai perdu de vue mon vieil ami pendant une demi-heure à peu près, pendant la journée, reprit le notaire ; il est sorti, sans me dire où il allait. Quand il revint, il me sembla qu’il était moins affaissé, plus gai… Ô mon pauvre, pauvre vieux camarade !

Enfin, on décida Paul à se coucher, et le médecin lui administra un calmant, à forte dose, ce qui fit qu’il dormit jusqu’à midi.

Lorsqu’il descendit de sa chambre, le notaire Schrybe l’attendait dans l’étude, et il lui annonça qu’il ne quitterait le « château » que pour suivre les funérailles de Delmas Fiermont, qui étaient fixées pour le surlendemain, à dix heures du matin.

Pendant que Paul avait dormi sous l’effet du calmant que lui avait administré le médecin, un entrepreneur de pompes funèbres était venu de Québec et maintenant, les restes mortels de Delmas Fiermont reposaient dans le salon du « château », entouré de plus de cent cierges allumés.

Dans le courant de l’après-midi, alors que Paul était occupé dans l’étude quelqu’un frappa timidement à la porte.

— Entrez ! dit-il, croyant que c’était un des domestiques de la maison.

La porte fut ouverte lentement et quelqu’un s’avança sur le seuil. Aussitôt, Paul fut debout, et il alla au-devant de celle qui venait d’entrer.

— Tante Berthe ! s’écria-t-il.

— Paul ! Ô Paul ! fit la vieille demoiselle, en se suspendant au cou de son « neveu ». Ton oncle, Paul !… Pauvre, pauvre Delmas !

— Hélas ! tante Berthe !

— Le Notaire Schrybe vient de tout me raconter… C’est… c’est pitoyable, n’est-ce pas, Paul ? sanglota Mlle Fiermont.

— C’est une tragédie !

— Mais, il faut que je te dise, cher enfant, que je l’ai vu, hier, ton oncle Delmas ; je lui ai même parlé…

— Vraiment !

— Oui. Je l’ai aperçu dans la rue… Il avait l’air malade… Je me suis risquée à lui adresser la parole :

— « Delmas ! ai-je dit.

— Berthe ! s’est-il écrié.

— Comment te portes-tu, mon cousin ? lui ai-je demandé.

— Assez bien, merci, m’a-t-il répondu. Paul est de retour depuis un an maintenant, a-t-il ajouté.

— Je le sais, Delmas, lui dis-je. Je l’ai rencontré ; il est même venu à ma maison de pension. Au revoir, mon ami !

Mais ton oncle m’a retenu.

— Berthe, m’a-t-il dit, d’une voix tremblante, je suis content de constater que tu ne me gardes pas rancune.

— Je ne t’ai pas gardé rancune un seul instant, Delmas, lui ai-je répondu, en lui tendant la main.

— Merci ! Au revoir, Berthe ! »

— Ah ! Je suis bien content de ce que vous venez de me dire, tante Berthe ! s’exclama Paul.

— Si tu savais ce que c’est pour moi, aujourd’hui, de pouvoir me dire que nous étions redevenus amis, ton oncle et moi ! fit la vieille demoiselle.

— Je le comprends sans peine ! fit le jeune homme.

— Je tenais à venir te raconter cet incident, dit, en se levant, Mlle Fiermont ; je savais, vois-tu, que cela te ferait bien plaisir.

— Où allez-vous, tante Berthe ? demanda Paul, en voyant Mlle Fiermont remettre ses gants.

— Mais, je retourne chez moi… Tu le sais, sans doute, il y a un service d’omnibus qui se fait maintenant, entre la ville et la banlieue ; le prochain passera dans moins de dix minutes.

— Sûrement, vous ne songez pas à retourner à Québec cet après-midi !

— Mais… Paul… Je ne veux pas m’imposer…

— Je vous en prie, chère tante ! Vous imposer !… Votre place n’est-elle pas ici, jusqu’à après demain. Vous êtes la seule cousine de mon oncle Delmas, et vous devriez prendre place dans la voiture de famille, pour ses funérailles, ne le croyez-vous pas ?

— Tu le comprends sans peine, Paul, répondit la vieille demoiselle, d’une voix qui tremblait légèrement, je ne demande qu’à rester, et puisque tu m’assures que je ne suis pas de trop…

— Alors, asseyez-vous, tante Berthe ; je vais aller donner à Mme Jacquin l’ordre de vous préparer une chambre immédiatement.

— Merci, Paul !

— Vous dinerez avec nous, le notaire Schrybe et moi, à sept heures, je l’espère ? demanda le jeune homme, en reconduisant Mlle Fiermont jusqu’à la porte de l’étude, aussitôt que Mme Jacquin eut annoncé que « la chambre de Mademoiselle » était prête.

— Je n’y manquerai pas, répondit-elle, avec un sourire.

À sept heures, lorsque sonna la cloche annonçant le diner, Mlle Fiermont se rendit dans la salle à manger, où l’attendait Paul. Le Notaire Schrybe n’était pas encore arrivé.

— Paul ! s’écria-t-elle. Tu m’as fait donner les pièces qu’occupait, de son vivant, Mme Fiermont, la mère de ton oncle Delmas ! Ces pièces, remplies de meubles antiques, les plus beaux qui soient, ces pièces, belles comme le plus beau des Musées, je les ai toujours tant admirées !…

— Je le savais, tante Berthe, et c’est pourquoi j’ai tenu à les mettre à votre disposition, fit Paul en souriant.

— Je suis logée comme une princesse ! Chambre à coucher, boudoir, bibliothèque privée… Ô Paul ! Merci ! Que tu es bon ! ajouta Mlle