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LE BRACELET DE FER

Fiermont, d’une voix émue. Assurément, le bonheur parfait sera ton partage un jour, je le souhaite bien de tout cœur ! Dieu te récompensera pour ton exquise bonté à mon égard, cher enfant !

— Vos paroles semblent être comme une sorte de prédiction, chère tante, dit notre jeune ami, en souriant.

— Puissent-elles l’être ! fit la vieille demoiselle.

Et Paul, malgré la réelle douleur que lui causait la mort de son oncle, se sentit envahi par une tranquille joie, tant il est vrai qu’il n’est pas de jouissance plus grande au monde que celle de faire plaisir à autrui.

Chapitre XVIII

LA COUSINE PAUVRE


Après le diner, on se rendit à la bibliothèque, et bientôt, les gens des alentours commencèrent à arriver. Quelques-uns apportaient des guirlandes de fleurs, d’autres, des offrandes spirituelles ; c’étaient tous des amis ou connaissances des Fiermont.

Mlle Fiermont, en voyant arriver tout ce monde, avait voulu s’esquiver. Ayant vécu dans la plus grande pauvreté, dans l’obscurité la plus complète, depuis deux ans, cela l’avait rendue très timide et réservée.

Mais Paul retint la vieille demoiselle à la bibliothèque, et ce fut elle, la cousine pauvre, qui reçut les visiteurs sympathiques, aidée de son « neveu ». D’ailleurs, elle était connue de tous. On se doutait bien qu’il avait dû y avoir quelque malentendu entre Mlle Fiermont et son cousin Delmas ; cependant, personne n’eut l’air d’être étonné de la voir, recevant, au « château ».

Le lendemain, ce fut la même chose ; Mlle Fiermont recevait, comme la veille, Paul étant très occupé avec le notaire, » tante Berthe » recevait seule, cette fois.

Certes, la vieille demoiselle comprenait bien l’idée de son « neveu » ; il voulait lui faire reprendre, au moins pour quelques jours, sa véritable position sociale, et le cœur de la cousine pauvre du défunt millionnaire était rempli de reconnaissance envers « ce cher Paul ».

Aux funérailles de Delmas Fiermont, qui eurent lieu le lendemain, un vendredi, il y avait foule. « On se serait cru au dimanche » disait-on.

Au retour du cimetière, Paul ramena Mlle Fiermont au « château » (car le service avait eu lieu dans la Basilique de la ville de Québec). Le Notaire Schrybe s’était excusé de ne pouvoir les accompagner ; mais il avait promis d’être présent le lendemain midi, pour la lecture du testament de son vieil ami et client Delmas Fiermont.

Après le repas du midi, le jour même des funérailles, Paul pria Mlle Fiermont de l’accompagner à l’étude ; il avait, disait-il, à l’entretenir de choses importantes.

Quand ils furent installés confortablement, Paul dit :

— Tante Berthe, j’ai quelque chose à vous proposer…

— Qu’est-ce donc, Paul ?

— C’est que vous ne me quittiez plus, que vous…

— Ne plus te quitter ?… Tu veux dire que je…

— Je veux dire que vous continuiez à demeurer avec moi ici. De fait, il ne serait que juste que vous fassiez de cette maison votre demeure, vous savez, chère tante…

— Ô Paul !… C’est trop de bonté !… Je ne sais si je devrais accepter une offre aussi généreuse…

— Il n’y a ni bonté, ni générosité de ma part, fit le jeune homme en souriant ; mais plutôt de l’égoïsme.

— De l’égoïsme ! Toi, égoïste ! Quand tu m’entoures d’attentions délicates et que tu m’offres de m’installer au « château » pour toujours !

— Cela vous va, alors, tante Berthe ?

— Ne regretteras-tu pas un jour, bientôt peut-être, ta trop généreuse impulsion, cher enfant ?

— Regretter ? Jamais !

— Ne te fâche pas, Paul, fit Mlle Fiermont, mais on m’avait assuré que tu devais te marier sous peu… Sans doute, le décès de ton oncle va te forcer à remettre ton mariage. Cependant, peut-être Mlle Trémaine…

— Tout est fini entre Mlle Trémaine et moi, annonça Paul.

— Fini ! Ô Paul, combien je regrette d’avoir mentionné la chose alors ! On m’avait même dit que la date de ton mariage était fixée au 30 de ce mois.

Mlle Trémaine a jugé à propos de remettre notre mariage… indéfiniment… J’ai reçu une lettre d’elle, me signifiant mon congé, le jour même de la mort de mon oncle Delmas.

— Pauvre Paul ! soupira Mlle Fiermont.

— Ainsi, comme vous le voyez, vous n’usurpez la place de qui que ce soit en demeurant ici, ajouta le jeune homme en souriant. Acceptez-vous, chère tante Berthe ?

— Si j’accepte ! Dix fois plutôt qu’une !… Quand je compare le « château » avec ma chambre sous les combles, chez Mme Grondeau… Mais, ce n’est pas encore cela ; c’est de vivre avec toi, sous ton toit, de veiller à ton confort, Paul… et la vieille demoiselle fondit en sanglots. Oh ! Que le bon Dieu te bénisse pour ta grande bonté envers moi !

— C’est entendu, alors ! Vous garderez, si vous le désirez, les pièces que vous occupez maintenant, c’est-à-dire celles qui appartenaient jadis à Mme Fiermont.

Le jeune homme posa le doigt sur un timbre et dit à Prosper, qui arriva dans l’étude :

— Prosper, va dire à Mme Jacquin que je désire lui parler.

— Sais-tu, Paul, fit Mlle Fiermont, après le départ de Prosper, il me semble que je rêve et que je vais m’éveiller soudain… dans ma chambre, chez Mme Grondeau !

On venait de frapper à la porte de l’étude ; c’était Mme Jacquin. Elle entra après en avoir reçu l’ordre.

— Vous m’avez fait demander, M. Paul ?

— Oui, Mme Jacquin. C’est pour vous dire que, dorénavant, vous aurez à prendre vos or-