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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/47

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LE BRACELET DE FER

moi (c’est-à-dire au « château »), réparer l’horloge de la salle à manger, vous aurez l’occasion de juger, par vous-même, de la collection de mon oncle. On dit qu’elle est presqu’unique.

— Cette horloge dont vous me parlez, de quel mouvement ?…

— Mouvement suisse, répondit Paul, sans hésiter.

Il ne s’y entendait guère, mais il se souvenait de ce qu’avait dit son oncle, le jour même de sa mort

— Suisse, hein ?… Très bien ! Très bien !

— L’horloge en question est arrêtée depuis dix ans, acheva le jeune homme.

— Depuis dix ans ! Tut ! Tut !… Eh ! bien, j’irai assurément au « château » ; mais pas maintenant… pas avant deux mois, peut-être trois…

— Rien ne presse, assura Paul. L’horloge est arrêtée depuis dix ans, je vous l’ai dit ; quand même elle le serait pendant encore deux ou trois mois, ça n’a réellement pas d’importance, ajouta-t-il, en riant. Quand vous serez disposé à vous en occuper, vous vous retirerez chez moi, je l’espère, M. Lhorians, et vous profiterez de votre séjour au « château » pour régler toutes les autres horloges de la maison, n’est-ce pas ?

— C’est entendu, répondit Alexandre Lhorians, et j’accepterai votre généreuse hospitalité, dont je vous remercie d’avance.

— Lorsque vous serez prêt à partir, vous n’aurez qu’à m’écrire, fit Paul en se dirigeant vers la porte de sortie. Au revoir.

— Monsieur, dit l’horloger, vous avez dû hériter des goûts de votre père, M. Delmas Fiermont…

— De mon oncle, corrigea, encore une fois, le jeune homme.

— Ah ! pardon ! De votre oncle, je veux dire… J’aimerais à vous montrer un objet d’art, une horloge que je suis à perfectionner et qui, lorsque j’aurai réussi à la rendre parfaite, m’apportera la fortune. Venez !

Alexandre Lhorians se dirigea vers la grande niche, au fond de la pièce, niche qui était cachée par des rideaux de peluche rouge. Il fit signe à Paul de le suivre. Les allures de l’horloger devinrent étranges, aussitôt qu’il fut parvenu à la niche ; il se mit à regarder à droite, à gauche, comme s’il eut craint d’être observé. Que craignait-il, en fin de compte ?… Ses sourcils étaient légèrement froncés, et ses mains qui, Paul l’avait remarqué déjà, étaient blanches et soignées, se cramponnaient, d’un geste nerveux, aux rideaux.

Enfin, il ouvrit les rideaux, et notre jeune ami vit une monumentale horloge, représentant un clocher d’église ; celui qui avait désigné le plan de cette charpente était assurément un artiste. C’était de toute beauté ; quant au mécanisme qu’elle renfermait, Paul ne s’y entendait nullement, inutile de le répéter.

— C’est magnifique ! s’exclama-t-il cependant.

— N’est-ce pas ? fit Alexandre Lhorians, parlant plutôt bas, mais d’une voix très saccadée, comme s’il eut craint quelque auditeur invisible. C’est une horloge de cathédrale, reprit-il. C’est le chef-d’œuvre que je rêve, depuis bien des années, et duquel j’attends la fortune… Le timbre de cette horloge est tout ce qu’on peut imaginer de plus beau…

— Je n’en doute pas, répondit Paul, pour dire quelque chose.

— Cette horloge, grâce à un certain mécanisme, joue une hymne appropriée, toutes les trois heures. Ainsi, à six heures du matin, elle joue l’angelus ; cet angélus, c’est ma fille qui l’a composé, M. Fiermont.

— Vraiment ! s’écria Paul. Mlle Lhorians est donc, non seulement musicienne ; elle compose aussi la musique !

— Elle a, du moins, composé l’angelus de cette horloge, répondit, assez brièvement l’horloger. Eh ! bien, je continue. L’angelus ayant été joué à six heures du matin, à neuf heures on entendra jouer l’hymne Veni Creator. À midi, ce sera encore l’angelus, à trois heures de l’après-midi, ce sera le Stabat Mater, puis, à six heures du soir, encore l’angelus.

— C’est merveilleux ! dit franchement Paul.

— N’est-ce pas ? fit Alexandre Lhorians. Aimeriez-vous entendre jouer l’angelus, M. Fiermont ?

— Assurément oui ! répondit Paul.

— Malheureusement, vous ne pourrez pas entendre résonner le timbre, qui sonne l’heure, avant les hymnes, car j’ai dû le démonter, ce matin ; mais, voici l’angelus.

Il se munit d’une large clef très plate et il monta le mécanisme. Aussitôt sans grincements de roues d’engrenage, Paul entendit jouer l’angelus, qui avait été composé par la fille de l’horloger. C’était magnifique ; on eut cru entendre jouer l’orgue, accompagné de la harpe, du violon et du piano. La mélodie était fort pieuse et on pouvait y placer facilement les paroles sacrées de l’angelus.

— C’est vraiment extraordinaire ! s’écria notre jeune ami, quand l’horloge eut cessé de jouer. Je vous félicite, M. Lhorians !

— Hélas ! fit l’horloger. Ce n’est pas encore parfait. Ce que je veux, voyez-vous, c’est que les hymnes ne jouent que durant le jour. Je veux que l’angelus du soir soit la dernière mélodie entendue, jusqu’à celle du matin. Entendez-vous le Veni Creator se jouant à neuf heures du soir, l’angelus à minuit, et le Stabat Mater à trois heures du matin ?… Ce serait ridicule et pas du tout à propos. Ce que je cherche, c’est un mécanisme qui fera que les hymnes ne jouent que durant le jour… Je le trouverai, bien sûr, et alors, ma fortune sera faite.

— Ce sera difficile… de trouver ce mécanisme, je veux dire, osa insinuer le jeune homme.

— Je le trouverai, vous dis-je ! Alors, ceux qui ont l’air de me reprocher, quoique silencieusement, les heures que je consacre à mon invention, seront obligés de joindre leurs félicitations aux vôtres, M. Fiermont… Le croiriez-vous, certaines gens prétendent que je néglige l’ouvrage payant, pour satisfaire une… toquade !… Eh ! bien, qui vivra verra !

Alexandre Lhorians avait parlé vite, quoique bas ; on devinait qu’il était très excité.

— Je vous souhaite de réussir, lui dit Paul ; je vous le souhaite de tout cœur, M. Lhorians !

— Merci, M. Fiermont, merci ! Si jamais