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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/48

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LE BRACELET DE FER

vous passez par ici, je serai toujours heureux de vous voir et de causer avec vous.

— À mon tour de dire merci, répondit Paul, en ouvrant la porte de sortie. Au revoir, M. Lhorians !

— Au revoir, M. Fiermont !

Tout en se dirigeant vers son club, notre ami pensait à l’horloger.

— C’est un toqué, c’est évident, se disait-il. Son horloge de cathédrale c’est sa lubie, et elle lui fait négliger son ouvrage ; c’est clair comme le jour… Il y a toutes sortes de gens en ce monde vraiment ! Et chacun a sa manie, petite ou grande : M. Lhorians, c’est son horloge de cathédrale ; mon oncle Delmas, c’était les horloges en général ; moi, c’est la minéralogie, la géologie… et les aventures… Peut-être sommes-nous tous légèrement détraqués ?… Je commence à le croire, ma foi, et c’est un tant soit peu comique !

Ces réflexions occupèrent Paul pendant un certain temps. Bientôt, il laissait la basse-ville derrière lui.

Comme il approchait de son club, il s’aperçut soudain que, tout en marchant et dandinant sa canne, il fredonnait tout bas :

— Dis, as-tu vu, mignonne,
Le petit oiseau bleu
Qui, sans cesse, fredonne
Sous la voûte des cieux ?…
As-tu vu l’oiseau bleu ?

Chapitre IV

LE CAFÉ CHANTANT


Paul venait de s’installer confortablement sur un fauteuil, dans son étude privée, et il se disposait à lire, lorsqu’on frappa à sa porte. Allant ouvrir, il se trouva en face d’Albert Delherbe.

— Delherbe ! fit-il. Entrez, mon cher.

— Je ne vous dérange pas au moins. Fiermont ?

— Pas le moins du monde ! J’étais à lire, en attendant l’heure de m’habiller pour le diner.

— Vous dinez au club, ce soir, comme d’habitude, je suppose ?

— Mais… sans doute… Aviez-vous autre chose à me proposer, Delherbe ?

— Oui. J’allais vous proposer de diner avec moi au Café Chantant…

— Au Café Chantant, dites-vous ! Il y a donc un Café Chantant à Québec ?

— Mais… Ce Café Chantant, c’est tout simplement une auberge de la basse-ville, répondit Albert Delherbe.

— Une auberge ? De la basse-ville ? Et pourquoi la désignez-vous du nom de Café Chantant cette auberge ? demanda Paul.

— Parce qu’on y chante, fit, en riant Albert. Deux fois la semaine, le mardi et le jeudi, une jeune fille d’une extraordinaire beauté honore le Café Chantant de sa présence et y chante, pour l’agrément des dîneurs.

— Ah ! bah ! s’exclama Paul. Je vous avouerai Delherbe, ajouta-t-il, que je n’aime guère ce genre d’amusement… Ces chanteuses de cabarets…

— Oh ! Mais ! Ce n’est pas une vulgaire chanteuse de cabaret que l’Oiseau Bleu, je vous l’assure, Fiermont !

— L’Oiseau Bleu ?…

— Nous la nommons ainsi, parce que nous ne savons pas son nom, et aussi parce qu’elle est toujours vêtue de bleu, que ses yeux sont bleus, et qu’elle porte, comme ornement, dans son abondante chevelure blonde, un oiseau bleu.

— Ah ! fit Paul.

— Vous le savez, Fiermont, reprit Albert Delherbe, c’est la mode, aujourd’hui, pour les dames et jeunes filles de porter des ornements dans leurs cheveux : Estelle, ma sœur, orne sa chevelure d’un papillon ; Renée Le Mouet porte un petit caméléon dans ses cheveux, et Mlle Rouvain entortille autour de son opulente toque noire, un serpent aux yeux de rubis.

— Je n’avais pas remarqué ces choses, répondit Paul ; mais, passons !… Quel âge, à peu près, peut avoir l’Oiseau Bleu, Delherbe ?

— De dix-sept à dix-huit ans, je crois.

— Ce n’est pas une fillette alors ?

— Une fillette ? Mon cher ! L’Oiseau Bleu est une radieuse jeune fille.

Un instant, Paul Fiermont avait cru qu’il s’agissait de l’Oiseau Bleu du promontoire… Elle aussi, avait été vêtue de bleu ; ses yeux, à elle aussi, étaient bleus, et elle portait, tout comme la chanteuse du Café Chantant, un oiseau bleu dans son abondante chevelure blonde. Mais, l’Oiseau Bleu du promontoire n’était qu’une enfant, tandis que celle qui chantait à l’auberge de la basse-ville avait de dix-sept à dix-huit ans.

— Venez-vous, Fiermont ? demanda Albert Delherbe.

— J’irai bien, répondit Paul.

— Cependant, je ne veux pas vous entraîner là sous de faux prétextes, dit Albert, en riant. L’Oiseau Bleu, je vous en avertis, n’est pas une diva ; elle ne chante que de simples chansonnettes (deux seulement). Pourtant, il émane un tel charme de sa personne, que nous allons, en foule, l’entendre. Vous rencontrerez, au Café Chantant, plusieurs de nos amis, probablement ; entr’autres, Joe Le Mouet, Jean Courville, Marius Rouvain, et le reste ; tous sont, comme je le suis, moi aussi, d’ailleurs, admirateurs respectueux du gentil Oiseau Bleu… ce que vous deviendrez bientôt vous-même je le prédis.

Paul sourit. Il ne se considérait pas encore tout à fait guéri de son amour pour Réjanne Trémaine.

— Ainsi, c’est entendu, vous viendrez, Fiermont ?

— Oui, j’irai.

— Alors, je serai ici à huit heures précises. Au revoir, mon bon !

— Au revoir, Delherbe !

Quand, vers les huit heures et demie, les deux jeunes gens arrivèrent à la porte de l’auberge qu’on désignait sous le nom de Café Chantant, Paul Fiermont eut un mouvement de recul. C’est que, vraiment, l’entrée avait piètre mine : c’était une vieille maison basse, dont le premier étage servait de magasin de quincaillerie.