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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/61

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LE BRACELET DE FER

peler « Laventurier » par Nilka, c’était de l’enfantillage, enfantillage qui pourrait bien avoir de désastreux résultats pour lui. Mais, considérant qu’il n’avait jamais dit à celle qu’il aimait s’appeler Laventurier, c’était là un point en sa faveur ?… Et puis… elle était si bonne, si douce, qu’elle lui pardonnerait sûrement, et bientôt, ce soir même, tous deux riraient ensemble de l’erreur dans laquelle elle avait été induite.

Tout en se livrant à ces réflexions. Paul marchait, de long en large, dans sa chambre à coucher. De temps à autre, il jetait les yeux sur la porte conduisant au corridor et il ébauchait un geste impatienté. Que faisait le garçon du club, qu’il ne lui apportait pas l’eau chaude, commandée, il y avait bien cinq minutes ?… Il était sept heures et quart déjà ; il n’aurait que juste le temps de se faire la barbe et de finir de s’habiller, s’il voulait arriver chez les Lhorians à huit heures précises. On devait se coucher de bonne heure chez l’horloger ; il n’allait pas arriver là après huit heures, n’est-ce pas ? Encore une fois, à quoi pensait le garçon du club, qu’il ne faisait pas son apparition avec l’eau chaude commandée ?

À bout de patience, notre jeune ami ouvrit la porte de sa chambre et sortit dans le corridor, quoiqu’il ne fut qu’en manches de chemise, et il se mit à regarder à droite et à gauche, dans l’espoir d’apercevoir le garçon. Ne l’apercevant pas, il allait retourner dans sa chambre afin de sonner, pour l’appeler de nouveau, lorsqu’il vit, se dirigeant de son côté, et examinant les numéros sur les portes des diverses chambres, quelqu’un qu’il reconnut immédiatement.

— Joël ! s’exclama-t-il.

— Ah ! M… Laventurier ! fit Joël, en rejoignant le jeune homme.

— Cherchiez-vous quelqu’un, Joël ? demanda Paul.

— Je vous cherchais, M… Laventurier, dit le domestique des Lhorians. Puis-je vous dire quelques mots, Monsieur ?

— Certainement ! Entrez !

Joël venait-il de la part de Nilka ? Et pourquoi ? Aurait-elle changé d’idée et refusait-elle de le recevoir ?… Ou bien, quelque chose allait-il mal chez l’horloger ?… Cette visite du domestique, au moment où il se préparait à aller passer la soirée avec celle qu’il considérait déjà comme sa fiancée, c’était, pour le moins, singulier !

— Qu’y a-t-il, Joël ? demanda Paul, lorsqu’ils eurent franchi le seuil de sa chambre à coucher.

— Monsieur, j’aurais quelque chose d’important à vous communiquer… commença Joël.

— D’important ?… Mlle Nilka ?…

— Je ne viens pas de la part de Mlle Lhorians, fit le domestique, en accentuant fort les deux derniers mots ; mais c’est à propos d’elle que je désire vous parler.

— Faites vite alors, mon bon Joël ! dit Paul. Je suis pressé. Je…

— Vous vous prépariez à aller passer la veillée avec Mlle Nilka, n’est-ce pas, M… Laventurier ? demanda Joël. Eh ! bien, vous n’en ferez rien !

— Hein ! fit Paul. Depuis quand les domestiques…

— Je savais que vous me répondriez ainsi, dit Joël, avec un sourire qui avait quelque chose de pathétique. Mais, qu’importe !… Écoutez, M… Laventurier ; je suis, moi, humble domestique, le seul protecteur de Mlle Nilka et…

— Le seul protecteur de Mlle Nilka, dites-vous ?… Mais, mon pauvre Joël, il me semble que M. Lhorians, son père…

— Monsieur, s’écria Joël, seriez-vous un hypocrite, aussi bien qu’un menteur ?

— Vous dites ?…

— Je dis que vous êtes hypocrite, autant que menteur, si vous feignez de ne pas avoir remarqué… l’état de M. Lhorians ! cria Joël. Vous devez bien comprendre qu’il est incapable de veiller sur sa fille ! M. Lhorians ne vit que pour son horloge de cathédrale ; que lui importe le reste de l’univers !… Depuis le décès de Mme Lhorians (il y a treize ans ; qu’il est ainsi… C’est moi, moi, entendez-vous, M… Laventurier, le gardien de Mlle Nilka, et, tonnerre ! malheur à qui oserait toucher à un cheveu de sa tête !

— Je… Je ne comprends rien à votre langage, Joël, fit Paul. Personne (pas moi, assurément) ! ne songe à faire du mal à Mlle Lhorians, soyez-en convaincu, et puis…

— Écoutez ! cria presque Joël. Il y a longtemps que je me défie de vous et que je vous surveille. Vous avez trouvé le moyen de rencontrer Mlle Nilka en plusieurs occasions, et je sais tout ! Je vous l’ai dit, je vous soupçonnais d’avance, et ce soir, lorsque j’ai demandé qu’on me conduise à la chambre de M. Laventurier, on m’a ri au nez : « M. Laventurier ? me demanda-t-on. Il n’y a personne de ce nom ici. Cherchez ailleurs, mon brave ? »

— Je vais vous expliquer… commença Paul.

— Non ! cria Joël. Il n’est nul besoin d’explication. Vous vous êtes donné un faux nom, et c’est sous un faux nom que vous avez essayé de vous faire aimer de Mlle Nilka, la naïve enfant, afin de lui briser le cœur, probablement, et d’en rire avec vos canailles d’amis ensuite.

— Attendez ! Attendez, Joël ! Vous m’accusez faussement, et je…

— Je ne dis que la vérité pure et simple. Sans doute, briser le cœur d’une jeune fille, ce n’est rien pour vous et vos pareils : vous appelez cela du « flirt ». Mais, moi, je nomme cela par un autre nom : vous êtes un misérable, M… Laventurier ! Voilà !

— Allons, Joël, laissez-moi me justifier ! implora notre ami, qui avait pâli sous l’injustice et l’insulte du domestique. Mais, d’abord, que je vous le dise, mon nom c’est…

— Je ne veux pas le savoir votre nom, Monsieur ! s’écria Joël, en levant la main d’un geste de protestation. Que m’importe, d’ailleurs ?… On m’a dit que vous aviez, pendant je ne sais combien d’années, mené une vie aventureuse… Cela me suffit. Qui sait par quelles aventures vous avez passé ?… Je vous défends donc (je vous le défends, entendez-vous) ! d’approcher même de Mlle Nilka… J’ai promis à Mme Lhorians, lors de son décès,