Aller au contenu

Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
58
LE BRACELET DE FER

« château », la plus belle collection d’horloges que j’aie vue encore.

— C’était aussi l’opinion de mon cousin Delmas… que sa collection d’horloges était insurpassable, je veux dire, fit, en riant Mlle Fiermont.

— J’aimerais à vous parler de mon horloge de cathédrale, Mlle Fiermont, dit Alexandre Lhorians. C’est une de mes inventions qui…

Et voilà l’horloger, à cheval sur son dada, au grand ennui de la vieille demoiselle, que le sujet n’intéressait guère. Heureusement, Nilka entrait dans le Musée, pour annoncer que la voiture était à la porte du « château » et que les chevaux piaffaient d’impatience.

Ce jour-là, en revenant de leur promenade en voiture, elles passèrent en vue du promontoire, et Nilka de dire à sa compagne :

— La première, et la seule fois que je suis venue à la Banlieue, Mlle Fiermont, j’ai été témoin d’un accident sur ce promontoire : un jeune homme venait de tomber et de se frapper la tête sur un fragment de rocher… J’avais pu lui donner quelques soins… Chose curieuse, je l’ai revu, à Québec ce jeune homme. Il m’a même remis un médaillon, que j’avais perdu sur le promontoire ; un médaillon auquel je tiens infiniment, car il contient un portrait de ma mère ; voyez !

Nilka ouvrit le médaillon qu’elle portait suspendu à son cou et montra à « tante Berthe » le portrait qu’il contenait.

— Oh ! Quelle ressemblance il existe entre vous et votre mère, Nilka ! s’écria la vieille demoiselle.

— Oui, répondit la jeune fille. Père dit que la ressemblance est extraordinaire… Ma mère… je l’ai à peine connue… Je n’avais que quatre ans lorsqu’elle est morte…

— Pauvre chère petite ! fit Mlle Fiermont en entourant de ses bras la taille de Nilka. Mais, ajouta-t-elle, ce jeune homme dont vous me parliez tout à l’heure, celui qui était tombé, sur le promontoire, l’avez-vous rencontré souvent ?

— Deux ou trois fois seulement, répondit Nilka, en rougissant légèrement. Il se nomme M. Laventurier… Il venait souvent diner au Café Chantant, où j’étais engagée comme cantatrice.

M. Laventurier ?…

Mlle Fiermont fronça légèrement les sourcils. Pourquoi Paul s’était-il donné un nom qui n’était pas le sien ?… Assurément, ça n’avait pas été dans l’intention de tromper la naïve enfant qui, « tante Berthe », le devinait bien, l’aimait, sans trop s’en rendre compte ?…

— Ah ! Vous savez son nom alors, à ce jeune homme, Nilka ? demanda-t-elle. Est-ce lui qui vous l’a dit ?

— Non, Mlle Fiermont. Son nom, je l’ai appris dans d’assez… comiques circonstances. Il faut que je vous raconte la chose, dit Nilka, en éclatant de rire.

Elle raconta à Mlle Fiermont l’incident Anatole Chanty, mais sans nommer ce dernier, puisqu’elle ne savait pas son nom. La vieille demoiselle eut un soupir de soulagement ; évidemment, Paul n’avait pas essayé de tromper la jeune fille ; elle avait, elle-même, fait erreur, voilà tout.

— Tout de même, réfléchissait-elle, Paul aurait dû détromper Nilka, la première fois qu’elle l’a nommé M. Laventurier. C’est de l’enfantillage de sa part, et souvent, ces sortes d’enfantillages ont d’assez graves résultats !

Mlle Fiermont fut tentée de détromper la jeune fille ; cependant elle résista à la tentation. Elle n’allait pas mettre « les pieds dans les plats » et risquer de déplaire, fortement peut-être, à Paul, si bon, si délicat, si gentil pour elle.

— Mais, je lui donnerai un conseil, aussitôt que je le verrai, se dit-elle. La farce a assez duré, selon moi, et Paul doit des explications à cette petite. Oui, j’y verrai !

Les douze jours que Nilka passa au « château » s’envolèrent bien trop vite au gré de ses désirs. Combien elle eut voulu pouvoir accepter l’offre de Mlle Fiermont : celle de devenir sa compagne ! Mais c’était impossible. Elle ne pouvait quitter son père, dont elle seule venait à bout lorsqu’il avait ses « crises de visions et de rêves », pour parler comme Joël.

C’est donc le cœur gros que la jeune et la vieille demoiselle se séparèrent, les douze jours étant écoulés, et l’horloger ayant terminé sa besogne à sa satisfaction. Il était entendu, cependant, qu’on se verrait, dans peu de temps.

Pourtant, un bien long temps devait s’écouler et bien des évènements devaient se passer, avant qu’elles se rencontrassent toutes deux !

Chapitre XI

JOËL DIT SA FAÇON DE PENSER


Paul Fiermont se préparait à aller passer la veillée chez les Lhorians. Il avait eu l’occasion de rencontrer Nilka, deux fois, depuis son retour de la Banlieue, et enfin, il avait obtenu d’elle la permission de lui rendre visite. De cette visite à la fille de l’horloger, il attendait de bons résultats, car quoiqu’il ne fut pas du tout prétentieux, il se considérait en droit de croire qu’il n’était pas tout à fait indifférent à celle qu’il aimait. La joie réelle qu’elle paraissait éprouver en l’apercevant, le sourire un peu ému dont elle le favorisait, lui permettait d’espérer, lui semblait-il. Puis, à leur dernière rencontre, ne lui avait-il pas avoué presque, son amour, sans qu’elle le repoussât ? Au contraire, elle avait rougi légèrement et levé sur lui des yeux où le jeune homme avait cru lire de l’encouragement.

Eh ! bien, ce soir se déciderait le sort de Paul Fiermont ! À quoi servirait une longue fréquentation ?… Il lui tardait tant d’installer sa bien-aimée au « château » Fiermont ! Quelle charmante et exquise châtelaine elle ferait, sa Nilka !

Cependant, il y avait un point noir à l’horizon du rêve de notre ami : il lui faudrait avouer à la jeune fille qu’il l’avait trompée, ou, du moins, qu’il ne l’avait pas détrompée, en ce qui concernait son nom. « Tante Berthe » avait reproché la chose à son « neveu » et lui avait fait comprendre que le fait de s’être laissé ap-