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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/66

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LE BRACELET DE FER

conversation qui s’échangeait, en ce moment, entre le notaire et ses visiteurs.

— Monsieur et Mademoiselle Lhorians ? demandait le notaire.

— Oui, M. le Notaire, répondit l’horloger, de sa voix saccadée. Nous sommes venus, en réponse à cette annonce demandant un gardien pour un bateau.

— Certainement ! Certainement ! fit le notaire. Cette annonce…

— J’ai compris qu’il n’était pas nécessaire de s’y connaître en navigation, pour aspirer à la position, dit Alexandre Lhorians.

— Nullement, M. Lhorians, nullement ! Puisque le bateau en question est a l’ancre, au milieu d’un lac…

— Je serais heureux et je me considérerais chanceux d’obtenir cette position, fit le père de Nilka. C’est que nous avons été fort éprouvés, tout dernièrement… Je suis, continua-t-il, ou plutôt j’étais, horloger, mais un accident arrivé à mes yeux, m’oblige d’abandonner mon art ; je suis donc dans l’impossibilité de gagner ma vie, pour le moment du moins… Ce bateau ?…

— Je vais, tout d’abord… commença le notaire. Mais on frappait à la porte du bureau et il fronça les sourcils. À quoi pensait Tudor, et comment osait-il le déranger, alors qu’il recevait des clients ? Il le sermonnerait vertement pour cela ; même, une taloche ou deux lui rafraîchirait la mémoire à ce garçon.

— Pardon ! Excuses ! fit Tudor, en pénétrant dans le bureau. On m’a recommandé de vous remettre ceci sans retard, M. le Notaire.

Le notaire allait répliquer, lorsqu’il reconnut l’écriture de Paul sur la tablette que le garçon venait de lui présenter.

— C’est bien, Tudor, répondit-il seulement. Retire-toi maintenant. Puis se tournant du côté d’Alexandre Lhorians et de sa fille, il demanda, en désignant la tablette : Vous permettez, Monsieur et Mademoiselle ?

— Mais, certainement ! dit l’horloger, avec un geste de grand seigneur.

Le notaire jeta les yeux sur la tablette et y lut ce qui suit :

« Cher Notaire,

Je connais M. et Mlle Lhorians, et je désire que vous facilitiez, autant que possible, à M. Lhorians la tâche de gardien, en lui peignant les choses sous leur plus riant aspect. Ces gens sont dans le malheur, et la position de gardien du bateau leur serait d’un grand aide.

Doublez le salaire offert, je vous prie.

PAUL

P. S. — M. et Mlle Lhorians ne me connaissent pas… du moins, sous mon véritable nom. Ne me trahissez pas.

P. F. »

— Tiens ! Tiens ! murmura le notaire, lorsqu’il eut lu le billet de Paul. Il y a sûrement anguille sous roche ici… Le fait est, continua-t-il, in petto, et en jetant un regard sur Nilka, le fait est qu’elle est bien belle cette jeune fille ; de plus, elle a l’air d’être charmante, exquise… Si je ne me trompe pas, Mlle Lhorians est parvenue à faire oublier Réjanne Trémaine à mon jeune ami… Je disais donc, reprit-il, tout haut cette fois, et s’adressant à ses clients, que je voudrais vous donner une idée, tout d’abord, de ce que seront les occupations du gardien du bateau ; ensuite, je vous ferai connaître les avantages de la position.

— Je vous écoute, M. le Notaire, répondit Alexandre Lhorians.

— Ce bateau a été mis en vente, et le propriétaire tient à ce qu’il soit habité et bien entretenu, jusqu’à ce qu’il trouve un acquéreur. Celui qui acceptera la position, devra faire de ce bateau sa demeure.

— Ce sera peu banal d’habiter un bateau ! s’écria Nilka en souriant.

— Ce bateau, comme vous avez dû le voir par l’annonce, est à l’ancre… au milieu d’un lac, et il constitue un certain danger pour les barques de pêcheurs, etc. n’étant pas éclairé, la nuit, ou les jours de brume. Le gardien donc, devra, chaque jour, après le coucher du soleil, allumer une lumière, à l’avant et à l’arrière du bateau. Cette lumière sera allumée aussi en temps de brumes ; et elles sont assez fréquentes… en ces régions.

— En ces régions, dites-vous ? demanda Nilka. De quelles régions parlez vous donc. Monsieur ?

— Je vous le dirai dans un instant, Mademoiselle, répondit, en souriant, le notaire. Maintenant tous les trois mois, il faudra que les machines et engins soient huilés.

— Joël s’occupera de cela, dit Alexandre Lhorians.

— Joël ?… questionna l’homme de loi.

— Joël est notre ancien domestique, devenu, depuis, plusieurs années, mon aide… aide-joaillier, vous comprenez. Vous n’avez pas d’objections à ce que nous l’emmenions avec nous, M. le Notaire ? Nous ne pourrions pas nous séparer de Joël.

— Sans doute ! Vous pourrez amener Joël avec vous, M. Lhorians. Le bateau est assez grand pour que plusieurs personnes même puissent y vivre à l’aise. Maintenant, procédons à l’énumération des avantages de cette position de gardien ; si vous l’acceptez, M. Lhorians, vous serez, vous, Mlle Lhorians et Joël, logés, chauffés, éclairés ; de plus, vos frais de voyage, d’ici au lac… dans lequel est ancré le bateau, seront payés par le propriétaire…

— Ne nous direz-vous pas le nom du propriétaire ? demanda l’horloger.

— Avec plaisir, répondit le notaire. Son nom c’est M. Paul Fiermont… Vous avez peut-être entendu parler de M. Fiermont, le jeune millionnaire de la Banlieue ?

M. Fiermont, du « château » ? fit Nilka, en souriant.

— Ah ! Vous le connaissez, Mademoiselle ?

— Non, je ne le connais pas. Mais, nous avons passé, mon père et moi, douze jours, douze agréables jours, au « château », il n’y a pas si longtemps. Mlle Fiermont nous a reçus, oh ! si cordialement, si amicalement, quoique père n’était au « château » que pour réparer les horloges.

Mlle Fiermont est charmante et bonne ! fit le notaire Schrybe, tandis qu’un peu de rose teintait ses joues, fraîches encore, pour son âge.