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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/67

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LE BRACELET DE FER

M. Fiermont… je ne l’ai pas connu, reprit Nilka. Mais, ajouta-t-elle en souriant, j’ai beaucoup entendu parler de lui par sa « tante Berthe »… Chère Mlle Fiermont ! De fait, elle ne m’entretenait que de son « neveu », durant les veillées que nous passions ensemble. Elle ne tarissait pas sur la noblesse et la bonté de celui qu’elle appelait son cher Paul. Ainsi, c’est ce M. Fiermont qui est le propriétaire de ce bateau, dont mon père convoite la garde, M. le Notaire ?

— Oui, Mademoiselle, c’est bien lui.

— J’aimerais bien savoir où se trouve ce bateau et quel est son nom, dit Alexandre Lhorians.

— Le bateau en question a nom L’Épave

L’Épave ?… Quel nom singulier ! fit Nilka.

— C’est presqu’un nom… sinistre, ajouta l’horloger. Et L’Épave est à l’ancre dans le lac ?…

— Dans le lac St-Jean.

— Dans le lac St-Jean !  !

Le père et la fille s’étaient exclamés ensemble.

— Le lac St-Jean ! répéta Alexandre Lhorians. Mais… Je croyais qu’en ces régions il n’y avait que des sauvages et des bêtes fauves !

— Pas du tout ! s’écria le notaire. L’Épave est à l’ancre à quatre milles du rivage, en face d’un village qui, un jour deviendra considérable, probablement, et qui a nom Roberval.

— Roberval… murmura Nilka. J’ai entendu ce nom assez souvent. Mais… ces régions isolées !… Ce bateau, à quatre milles du rivage !… et elle frisonna malgré elle.

— Nous n’irons pas, ma chérie, si tu crains que…

— Allons-y, au contraire, père ! Saisissons cette chance !… L’Épave, ce sera un toit sur nos têtes et…

L’Épave sera une confortable demeure, je puis vous l’assurer, Mlle Lhorians, dit le notaire, et je parle en connaissance de cause. Si vous me permettez de vous donner un conseil, M. Lhorians, continua-t-il, ce serait, celui d’accepter la position de gardien de L’Épave, car, outre les avantages dont je vous ai parlé tout à l’heure, vous pourrez vivre de chasse et de pêche, puis, il y aura le salaire de cinquante dollars par mois, qui vous sera payé d’avance, tous les trois mois.

— Cinquante dollars par mois ! s’écrièrent, en même temps, Nilka et son père. Cinquante dollars !

— Le salaire n’est pas considérable, sans doute, fit, un peu sèchement le notaire ; mais je pourrais peut-être vous faire obtenir une petite augmentation… M. Fiermont…

— Mais, Monsieur ! s’écria Nilka. Nous trouvons, au contraire, père et moi, que le salaire est splendide ! Cinquante dollars par mois, ajoutés aux autres avantages de la position, c’est… c’est presqu’un rêve ! N’est-ce pas, père ?

— Si ma fille ne craint pas l’isolement… j’allais dire la désolation des régions du lac St-Jean, dit l’horloger, je suis prêt à signer le contrat, m’engageant comme gardien de L’Épave immédiatement.

— Oui ! Oui ! Signez le contrat, père ! s’exclama Nilka.

— J’ai oublié de vous dire aussi, fit le notaire, que vous trouverez sur L’Épave, les choses de première nécessité, telles que farine, thé, café, sucre, etc., etc. De plus, il y a une assez grande quantité de conserves, en boîtes et en bocaux… Voyez-vous, M. Paul Fiermont allait souvent camper sur son bateau ; de là, ces provisions, dont il n’aura plus besoin, et dont vous pourrez vous servir, sans scrupule.

— C’est un vrai palais d’Aladin que L’Épave alors ! s’écria joyeusement Nilka.

— Et M. Fiermont est d’une générosité rare ! supplémenta son père. Quand devons-nous partir pour le lac St-Jean, M. le Notaire ? demanda t-il.

— Dans deux mois, vous devrez être tout à fait installés sur L’Épave, répondit le notaire. Est-ce trop tôt ?

— Dans deux mois ; c’est-à-dire, le 1er juin, nous serons installés dans notre nouvelle demeure, assura Nilka en souriant.

Quand, un quart d’heure plus tard, Alexandre Lhorians et sa fille quittèrent le bureau au notaire Schrybe, celui-ci eut un soupir de soulagement ; enfin, le gardien de L’Épave était trouvé !

Et Paul Fiermont, le visage collé à la vitre de la fenêtre de la bibliothèque du notaire, et regardant s’éloigner celle qu’il aimait, eut, lui aussi, un soupir de soulagement. Nilka !… Il saurait où la retrouver maintenant… Il avait tant craint ne plus jamais la revoir !… Il allait veiller sur elle, sans qu’elle s’en doutât, et lui rendre la vie aussi agréable que possible, sur L’Épave… De loin, il verrait à ce que tout le confort imaginable fut son partage, là-bas, dans les régions quelque peu mystérieuses du lac St-Jean.

FIN DE LA DEUXIEME PARTIE


TROISIÈME PARTIE

L’ÉPAVE

Chapitre I

CE QU’EN PENSAIT CÉDULIE


Sur le bord du lac St-Jean, en face du village de Roberval, deux mois après les évènements racontés dans les précédents chapitres, un groupe de cinq personnes est réuni. De ce groupe, trois nous sont connus ; ce sont Alexandre Lhorians, Nilka, sa fille, et Joël leur domestique. Les deux autres sont de braves gens de Roberval, un digne couple : Raphaël Brisant et Cédulie sa femme. Chez ces gens, les Lhorians venaient de passer trois jours et, au moment où nous les retrouvons, ils se disposaient à se rendre à leur nouvelle demeure, située (ancrée plutôt) à quatre milles du rivage.

Amarrée à une souche d’arbre et se balançant sur les flots, à la brise matinale, est une chaloupe peinturée en blanc, à l’avant de la-