Aller au contenu

Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
68
LE BRACELET DE FER

en cuivre poli, ce plancher peinturé de frais, ce plafond, ces murs, émaillés de blanc, ces bancs fixes, aux coussins en reps écarlate… Pourrait-on rêver rien de plus coquet ?… Puis ces hublots, qui peuvent se fermer hermétiquement, en cas de pluie…

— C’est bien, en effet, très bien même, répondit Alexandre Lhorians, et si le reste de… la maison vaut ce… vestibule, nous n’aurons certainement pas à nous plaindre, Nilka !

— Tu ne m’avais pas dit que c’était si beau, si splendide que cela L’épave, Joël ? fit Nilka, en souriant au domestique.

— Non, Mlle Nilka, répondit-il. Voyez-vous, je voulais jouir de votre surprise ; c’est pourquoi je n’ai rien dit.

Deux portes conduisaient au corps principal du bateau. Nilka ouvrit celle de gauche et arriva dans un étroit couloir, longeant la chambre des machines et aboutissant à une grande pièce, qui devait servir de cuisine et de salle à manger, car un poêle y était installé. Le plancher du petit couloir était recouvert d’un tapis écarlate ; le plancher de la salle à manger était recouvert d’une toile cirée au dessin égayant.

— Oh ! Quel bijou de salle à manger ! s’exclama Nilka. Et, toutes ces armoires ! ajoutat-elle, en ouvrant l’une d’elles. Père, regardez donc ; voici l’armoire à la vaisselle, et quelle belle vaisselle ! Ces mignonnes tasses à thé, ces soucoupes, ces jolies assiettes, au fond desquelles est peint un oiseau bleu, les ailes largement tendues. Un oiseau bleu… N’est-ce pas curieux, Joël, cette vaisselle ornée d’oiseaux bleus ?

— C’est curieux, en effet, Mlle Nilka, répondit le domestique, et j’avoue que ça m’a fait ouvrir les yeux… Mais, ce n’est que par hasard que ce dessin a été choisi, bien sûr.

— Je le sais bien, Joël ! fit Nilka. Tiens, voici la batterie de cuisine, dans cette autre armoire… Cette autre, c’est une spacieuse garde-robe… C’est magnifique cette pièce, avec ces deux portes, ornées de moustiquaires, ouvrant sur l’avant-pont !… Mais !… Des moustiquaires, il y en a partout ; aux portes et aux fenêtres, et que je suis contente ! Moi qui ai tant peur des insectes et des oiseaux nocturnes !

Comme toujours, Alexandre Lhorians était distrait et ne prêtait que peu d’attention aux exclamations enthousiastes de sa fille ; mais Joël buvait littéralement chaque parole de sa jeune maîtresse et il était tout heureux de sa réelle joie.

— Ainsi, vous êtes satisfaite, Mlle Nilka ? demanda le domestique.

— Satisfaite ! Je serais bien difficile si je n’étais pas folle de joie d’habiter ce joli palais ! s’écria la jeune fille. Et ces petites portes, où conduisent-elles, Joël ? demanda-t-elle, en désignant quatre portes, dont deux de chaque côté de la chambre des machines.

— Venez voir, Mlle Nilka, répondit le domestique, dont la joie égalait, assurément, celle de sa jeune maîtresse.

Il ouvrit une des portes mentionnées, et aussitôt, une exclamation jaillit des lèvres de Nilka ; car elle aperçut une coquette petite chambre (cabinet) toute émaillée de blanc. La couchette était blanche ; le lavabo était blanc, blanc aussi était un petit tabouret, au coussin de velours écarlate, placé à la tête du lit. Sur le plancher était un tapis de couleur écarlate.

— Et toutes les cabines, sur ce plancher, sont comme celle-ci, Mlle Nilka, dit Joël. Il y en a quatre. Il y en a deux autres, au second, qui sont bien confortables aussi, quoiqu’elles ne soient pas aussi luxueuses que celles-ci.

Nilka déposa sur le tabouret de la cabine un petit sac de voyage qu’elle portait à la main.

— Ce sera ma chambre à coucher ici, dit-elle. Père, vous prendrez la cabine voisine de la mienne, et toi, Joël, une de celles qui nous font vis-à-vis ; car nous coucherons tous sur ce pont.

— À vos ordres, Mlle Nilka, répondit le domestique.

— Que cachent ces portières en peluche écarlate, Joël ? demanda la jeune fille, en désignant une sorte d’arche, dans le fond de la pièce.

— Venez voir, Mlle Nilka, répondit, en souriant, Joël.

De la main, il écarta les portières, et Nilka pénétra dans un petit salon, si joli, si coquet, qu’elle en demeura muette d’étonnement. Au fend de la pièce était un piano, petit, mais de la meilleure manufacture. Clouées aux murs, et allant jusqu’au bas des fenêtres, étaient des tablettes, sur lesquelles étaient rangés des livres des auteurs les plus populaires ; des récits de voyages, quelques traités scientifiques ou historiques, etc., etc. Trois fauteuils, dont un, genre berceuse, complétaient l’ameublement du salon. Un tapis écarlate recouvrait le plancher. Écarlate et blanc ; tout était écarlate et blanc dans L’épave et l’effet en était fort égayant.

Nilka se hâta de découvrir les deux cages dorées contenant les canaris et elle les accrocha aux fenêtres du petit salon ; aussitôt, les mignons oiseaux se mirent à chanter.

— Où donc est Carlo ? demanda-t-elle soudain ? Serait-il retourné chez M. Brisant, par hasard ?

— Oh ! non, Mlle Nilka, répondit Joël, en riant. Mais Carlo est un chien bien élevé, et il se fait sécher au soleil, sur l’arrière-pont, avant de pénétrer dans la maison, afin de ne pas mouiller les tapis.

— Quel chien bien élevé en effet, Joël ! fit Nilka en riant elle aussi. Père, ajouta-t-elle, en se tournant du côté d’Alexandre Lhorians, qui paraissait être fort distrait et « pas du tout dans son assiette » comme disait parfois Joël, L’épave n’est-elle pas une demeure idéale, idéale ?

— Oui, oui ! Sans doute, ma fille répondit-il. Mais… Joël… où as-tu mis mon horloge de cathédrale ? Je ne la vois nulle part.

— Par ici, M. Lhorians, par ici ! répondit le domestique. Venez, vous aussi, Mlle Nilka, ajouta-t-il ; ça vaut vraiment la peine que vous veniez.

On venait de mettre le pied sur l’avant-pont, et la jeune fille ne cessait de s’exclamer, car cette partie du bateau était complètement vitrée : de longues et larges fenêtres, glissant facilement sur des rainures, et s’ouvrant sur des moustiquaires. Grâce à ces moustiquaires,