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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/84

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LE BRACELET DE FER

main ?… Une ombre ?… Elle se rappela les frôlements étranges perçus certaines nuits…

— Mon Dieu ! Que j’ai peur ! se dit-elle.

Allait-elle s’évanouir ?… Non ! Non ! Elle allait plutôt essayer de réagir contre le sentiment d’indicible frayeur qui l’envahissait… Allons ! Allons ! Elle ne resterait pas là, à ne rien faire, pour découvrir ce qu’il y avait… ce qui se passait derrière sa chaise, n’est-ce pas ? Du courage ! La situation présente ne pouvait se prolonger plus longtemps ; elle serait morte de peur, bien avant le retour de son père et de Joël…

Faisant un suprême effort de volonté, Nilka parvint à se lever de sa chaise, puis elle tourna vivement sur son talon…

Elle vit… rien… Non, rien… absolument rien…

Pourtant, le chien avait vu quelqu’un… ou quelque chose, lui !… Elle écouta… Pas un son ne lui parvint… Tout était silencieux… un de ces silences mornes, qui étreignent le cœur…

Aussi vite qu’elle le put, sur ses jambes que la peur faisait ployer sous elle, Nilka regagnât l’avant-pont… Merci Dieu ! La chaloupe revenait vers L’Épave ; bientôt, dans cinq minutes au plus, son père et Joël seraient de retour !

Chapitre XI

L’EFFET DE LA SOLITUDE


— Joël, j’ai à te parler ! fit Nilka, ce soir-là, après le souper. Père est retourné dans son atelier ; nous sommes donc seuls, toi et moi. Écoute bien.

— Je suis tout attention, Mlle Nilka, répondit Joël.

— Voici : J’aimerais à faire, en ta compagnie, l’inspection de ce bateau, dit la jeune fille.

L’inspection du bateau ! De L’Épave, vous voulez dire, Mlle Nilka ?… Mais, je l’ai visité, de la cale au troisième pont, je ne sais combien de fois déjà !

— Nous le visiterons ensemble, mon bon Joël, et nous ne laisserons pas un seul coin inexploré.

— Je suis entièrement à vos ordres, chère Mlle Nilka. Mais, puis-je vous demander pourquoi…

— Pourquoi je désire visiter le bateau ?… Eh ! bien, je crois vraiment qu’un être mystérieux habite L’Épave… et je veux m’assurer si…

— Allons ! Allons ! fit le domestique. Qui donc a bien pu vous entretenir de ces choses ?… Les récits fantastiques concernant L’Épave ne devraient pas vous inquiéter ; le mieux, c’est d’en rire, Mlle Nilka.

— Il y a donc quelque chose, Joël, que tu me parles ainsi ?… Quelque légende sans doute attachée à L’Épave ?… Je ne le savais pas… Je le sais maintenant…

— Ce sont tous des contes à dormir debout, Mlle Nilka. Il n’est pas surprenant, vous comprenez, que ce bateau, abandonné depuis quelque temps, à l’ancre au milieu de ce lac, ait donné lieu à certains récits merveilleux ; mais ce n’est pas une jeune file aussi bien instruite et éduquée que vous qui allez croire aux superstitions des alentours, n’est-ce pas ? fit Joël, qui avait envie de se donner de bons coups de pieds, pour avoir trop parlé tout à l’heure.

— Joël, les gens des alentours n’ont pas tout à fait tort, crois-le… J’ai été témoin de choses très étranges, depuis que nous demeurons sur ce bateau, et cela fort souvent… Encore cet après-midi…

— Des choses étranges ?… Encore cet après-midi ?… Qu’est-ce donc, Mlle Nilka ? Je vous prie de m’expliquer ce que vous voulez dire.

— Je vais tout te dire, Joël, tout !

Nilka parla d’abord de ces étranges frôlements, comme ceux de longs vêtements traînés sur le plancher, entendus certaines nuits, puis elle raconta son expérience d’il y avait quelques heures à peine.

— Carlo voyait quelque chose… ou quelqu’un, qu’il y avait directement derrière ma chaise, je te le dis, Joël ! assura-t-elle. Il y a quelque chose d’étrange, une mystérieuse présence, sur ce bateau… À nous deux, nous allons essayer de scruter ce mystère… Montons sur les deux ponts, puis nous explorerons cet entre-pont, puis la cale… Nous visiterons tout, tout ! Je le répète, nous ne laisserons pas un seul coin inexploré. Viens !

Inutile de le dire, n’est-ce pas, ils ne trouvèrent rien ; ni dans les cabines, ni sur les ponts, ni dans la cale… rien.

— M’est avis, Mlle Nilka, dit Joël, lorsque tous deux furent revenus dans la salle à manger, m’est avis que L’Épave ne recèle aucun mystère.

— Pourtant, Joël, ces frôlements mystérieux ; l’attitude de Carlo, cet après-midi…

— Chère Mlle Nilka, c’est l’effet de ces régions qui se fait sentir chez vous, l’effet de la solitude, de notre genre de vie hors de l’ordinaire ; que sais-je encore ?… Et puis, nous avons eu tort, M. Lhorians et moi, de vous laisser seule sur L’Épave, cet après-midi ; de vous savoir seule, cela vous a rendue nerveuse, et l’imagination aidant…

— Peut-être as-tu raison, répondit Nilka, quoiqu’elle ne fut pas du tout convaincue. Mais elle désirait ne pas discuter le sujet plus longtemps. Dans tous les cas, chose certaine, c’est que L’Épave ne contient pas d’autres êtres humains que père, toi et moi ; nous l’avons constaté, hein, Joël ?

— Bien sûr !  ! Bien sûr, chère Mlle Nilka !… Tout de même, jamais plus je ne vous laisserai seule sur ce bateau, non, jamais plus ! La solitude inspire toutes sortes d’idées, c’est reconnu ; des idées fort curieuses souvent. Du moment que vous avez eu peur cet après-midi, cela me servira de leçon pour l’avenir.

— Allons rejoindre petit père maintenant, Joël. Il finirait par s’apercevoir qu’il y a quelque chose, et je ne tiens pas à ce qu’il sache que sa fille « se fait des peurs », tu sais, fit Nilka en riant.

Alexandre Lhorians, est-il nécessaire de le dire ? ne s’était pas aperçu de l’absence de sa fille. Occupé à manier des rouages compliqués, rien ne l’intéressait au monde, hors de ce qu’il faisait pour le moment.