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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/86

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LE BRACELET DE FER

causent ensemble ; elles continuent, évidemment, une conversation commencée déjà.

— Ne craignez pas de me déranger, chère Mme Brisant, disait Nilka. Je ne lisais pas… je n’essayais même pas de lire. Voyez mon livre plutôt ; il est fermé, je ne l’ai seulement pas ouvert… Dire qu’il y a déjà deux jours que nous sommes en visite chez-vous ! continua-t-elle. Que le temps passe vite !

— J’aime à vous entendre parler ainsi, Nilka, croyez-le ! répondit Cédulie. Les distractions ne sont pas nombreuses ici, il est vrai ; mais…

— Ah ! que parlez-vous de distractions, Mme Brisant ! s’écria Nilka. Je suis parfaitement heureuse, sachez-le, car je ne puis me lasser de regarder et contempler les arbres, l’herbe, les rochers, les fleurs… Nous ne voyons jamais de ces choses, voyez-vous, dans les environs de L’Épave, fit-elle, en riant.

— Vous aimez L’Épave cependant, n’est-ce pas, Nilka ?

— Certes oui, je l’aime ! Mais, je préférerais voir notre beau petit palais flottant érigé au milieu de la verdure et des fleurs, plutôt qu’au milieu du lac St-Jean… qui me fait un peu peur parfois.

— Le lac St-Jean vous fait peur, dites-vous, Nilka ? Mais… c’est un lac splendide, admirable, imposant…

— Je sais, Mme Brisant ! Tout de même, je trouve que le lac St-Jean n’est pas un lac… comme un autre… Voyez plutôt comme il est désert… Pas une voile, pas une chaloupe même, sur ses ondes… Savez-vous, je me dis parfois que la Mer Morte doit être ainsi.

— Il faut vous chasser ces idées de la tête, chère petite, conseilla Cédulie. Moi, voilà près de quinze ans que je suis sur les bords du lac St-Jean et je l’aime…

— Peut-être finirai-je par l’aimer, moi aussi, Mme Brisant.

— Il ne pourrait se faire autrement, j’en suis sûre… Mais, j’allais oublier de vous dire, Nilka, que vous allez avoir la visite de deux jeunes filles, tout à l’heure…

— Deux jeunes filles ! Vraiment !

— Oui. Les demoiselles Laroche, Leona et Ève…

— Ève ?… Quel nom singulier ! s’écria Nilka. J’ai connu plusieurs Eva ; des Ève, jamais.

— Leona et Ève sont charmantes.

— Je n’en doute pas, Mme Brisant.

— Les Laroche sont nos voisins ; leur ferme n’est qu’à un mille d’ici. Leona et Ève sont institutrices, dans un village, à trente milles seulement de la ville de Québec, dit Cédulie. Vous aimerez à les rencontrer, Nilka, et si vous désirez les inviter à aller vous rendre visite sur L’Épave, je sais qu’elles accepteront votre invitation et que ça leur fera plaisir d’y aller.

— Et ça me fera excessivement plaisir de les inviter et de les recevoir, n’en doutez pas, répondit Nilka.

— Elles seraient venues hier, si elles n’avaient été absentes de Roberval ; elles étaient allées à la pêche au lac aux Couleuvres. Elles passent ici le temps de leurs vacances de l’été seulement.

— J’ai bien hâte de connaître les demoiselles Laroche !

— Je les attends d’une minute à l’autre… Tiens !… « En parlant du soleil on en voit les rayons ». C’est le cas de le dire, car voilà Leona et Ève qui s’en viennent sur le chemin. Allons à leur rencontre, voulez-vous, Nilka ?

— Avec grand plaisir, Mme Brisant.

De loin, les deux jeunes filles qui s’avançaient sur la route, faisaient des signes de la main à Mme Brisant. Elles étaient vêtues toutes deux de robes en indienne rose, retenues à la taille par des ceinturons de velours noir ; même dans ces simples toilettes, elles paraissaient élégantes.

— Deux jolies brunettes ! dit Nilka, en souriant à Mme Brisant. Qu’il me tarde de faire connaissance avec elles !

— Bonjour, Mme Brisant ! firent les jeunes filles, d’une voix claire, lorsqu’elles se furent approchées de la clôture, près de laquelle Cédulie et Nilka les attendaient.

— Bonjour, Leona ! Bonjour, Ève ! répondit Mme Brisant. Je vous présente Mlle Nilka Lhorians, ajouta-t-elle. Nilka, voici Mlles Leona et Ève Laroche.

Les trois jeunes filles échangèrent des sourires et des poignées de main ; la connaissance était faite.

Bientôt, toutes étaient assisses sous le vieux pommier et causaient ensemble, comme si elles eussent été de vieilles connaissances.

Mme Brisant, fit soudain Ève, nous désirons vous inviter, ainsi que M. et Mlle Lhorians, à une soirée — un bal plutôt — que nous donnons chez-nous, après demain soir, c’est-à-dire jeudi. Vous viendrez n’est-ce pas ?

— Bien sûr que nous irons ! répondit Cédulie.

— Et c’est bien gentil à vous de nous inviter père et moi, dit Nilka.

— Nous tenons beaucoup à ce que vous soyez des nôtres, Mlle Lhorians, dit Leona.

— Merci, Mlle Laroche.

— C’est en l’honneur de Leona, ici présente, que nous donnons un bal, annonça Ève. Je dois vous dire, Mlle Lhorians…

— Dites : « Nilka », toi et Leona, plutôt que « Mlle Lhorians », et Nilka vous adressera par vos prénoms, vous aussi, conseilla Mme Brisant.

— Nous ne demandons pas mieux, répondit aimablement Ève ; n’est-ce pas, Leona ?

— Je trouve charmant le conseil que vient de nous donner Mme Brisant, fit Leona en souriant. Qu’en pense… Nilka ?

— J’en pense exactement ce que vous et Ève en pensez, rit Nilka.

— Mais, pardon de t’avoir interrompue tout à l’heure, Ève, ma chère, dit Cédulie. Tu allais nous expliquer l’occasion de ce bal, jeudi soir…

— Oui, Mme Brisant. Leona a reçu son diplôme modèle, et nous voulons célébrer dignement l’évènement ; voilà.

— C’est charmant, et je vous félicite, Leona ! s’écria Nilka.

— Merci, chère Nilka !

Mme Brisant, reprit Nilka, nous irons à ce bal, n’est-ce pas ?