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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/95

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LE BRACELET DE FER

Or, soudain, une Voix, grondant comme un tonnerre,
S’élève, pour donner un ordre impérieux ;
Forte, elle retentit, vibrant dans l’atmosphère,
Et se perdant enfin sous la voûte des cieux.

Au même instant s’approche un menaçant nuage…
Les fauves, inquiets, se lamentent tout bas…
Puis, le torrent mugit… et tout le paysage :
Montagne, arbres rochers, s’écroulent avec fracas.

Au milieu de ce bruit, sans cesse nous arrivent
Des fauves effrayés les faibles grondements…
Leurs yeux lancent, parfois, des clartés blanches, vives ;
Éclairs précipités, aux éclats aveuglants.

C’est l’orage ! Chacun se hâte d’interrompre
Ses travaux… Devant Dieu l’homme s’anéantit…
Le ciel, lui semble-t-il, va brusquement se rompre,
Et, devant son courroux, il se sent si petit !


Une salve d’applaudissements accueillit cette poésie. Vraiment, on l’admirait autant qu’on l’aimait, la « Demoiselle de L’épave » ; tous aimaient et admiraient aussi l’homme grave et quelque peu étrange qu’était son père. On n’oublierait pas de sitôt les gens de L’épave ! Alexandre Lhorians et sa fille étaient devenus tout à fait populaires déjà, et cette popularité leur fut assurée à jamais, lorsque Nilka les invita tous à venir, à une quinzaine de là, passer la veillée sur L’épave. Inutile de le dire, n’est-ce pas, l’invitation fut accueillie avec grand enthousiasme, et sous le toit des Laroche retentirent ces mots, criés par tous : » Vivent le monsieur et la demoiselle de L’épave ! »

Le jour pointait lorsque se termina le bal chez Laroche, dont plus d’un garderait longtemps le souvenir.

Chapitre XVII

CHASSÉE DE SA TRIBU


Deux jours après le bal chez Laroche, vers les quatre heures de l’après-midi, on eut pu voir, naviguant sur le lac St-Jean, une chaloupe quelque peu délabrée, car souvent, elle se couchait sur le flanc, comme si elle eut été à moitié remplie d’eau ; elle l’était aussi.

À l’arrière de cette chaloupe une femme était assise ; c’était une Sauvagesse. Elle paraissait grande, mince, élancée, sous le châle aux couleurs variées dont elle était enveloppée.

À l’avant de la chaloupe, la Sauvagesse avait tendu un morceau de linge ; un tablier ou une jupe. Retenu par deux perches, ce morceau de linge servait de voile à l’embarcation, ou, du moins, il lui donnait un peu plus de rapidité.

La Sauvagesse, malgré sa peau cuivrée, ses lèvres un peu épaisses, son nez un peu épaté, n’était pas laide ; au contraire, car ses yeux, grands, bruns et très doux, rachetaient, en quelque sorte, les imperfections de ses traits. Elle avait dû, jadis, (il n’y avait pas longtemps, car elle était jeune encore) passer pour une beauté, parmi les gens de sa tribu. Lorsqu’un sourire errait dans ses yeux, et que ses lèvres s’ouvraient sur des dents saines et régulières, même un blanc l’eut trouvée, sinon belle, du moins attrayante. Mais, en ce moment, le sourire était loin… et des yeux de la Sauvagesse débordaient des larmes ; de ses lèvres s’échappaient des sanglots.

Elle devait venir de loin… Depuis longtemps, elle avait dépassé la Pointe des Sauvages, puis la Pointe Bleue ; sans doute, elle venait du nord du lac St-Jean, région presque inhabitée, si ce n’était par quelques tribus sauvages. Chose certaine cependant, la Sauvagesse qui nous intéresse, pour le moment, avait subi, tout récemment, quelque grande épreuve ; épreuve qu’elle supportait mal, car souvent, elle se levait debout dans sa chaloupe, et tandis que ses yeux lançaient des flammes, elle montrait le poing dans la direction du nord, tandis qu’elle marmottait des mots, dans un étrange dialecte ; des mots qui devaient contenir beaucoup de fiel.

Souvent aussi, la Sauvagesse se penchait, et à l’aide d’un bidon, elle vidait hâtivement l’eau qui cherchait sans cesse à envahir la chaloupe, puis, sanglotant tout haut, elle prenait dans ses bras et berçait doucement un enfant de cinq ou six ans, qui était couché dans le fond de l’embarcation, sur une petite caisse recouverte d’un couvre-pied, vieux mais propre.

— Harl ! Harl ! murmurait-elle alors.

Mais l’enfant restait sourd aux appels de sa mère ; il se mourait de la phtisie ; de fait, il était à l’agonie.

À un quart de mille à peu près de Roberval, à un endroit où le bois était très touffu, la chaloupe accosta. À peine la Sauvagesse eut-elle enlevé son enfant de la caisse où il avait été couché, que l’embarcation se mit à couler à fond ; crevée de toutes parts, elle n’avait pu supporter le choc, léger pourtant, de son contact avec le rivage.

Tenant son enfant dans ses bras et chantant tout bas, la Sauvagesse s’enfonça sous bois, sans s’apercevoir, pauvre femme, que ce n’était plus qu’un cadavre qu’elle pressait sur son cœur.

Arrivée au plus profond du bois, elle s’assit sur un rocher plat et se mit à pleurer et à gémir, tout en continuant à bercer doucement son enfant.

— Harl ! Harl ! répétait-elle souvent.

Soudain, elle cessa de gémir, ses yeux lancèrent des flammes, ses mouvement devinrent alertes, et elle se leva, prête à fuir ; c’est que des pas se dirigeaient vers elle. Elle entendait clairement le bruit de branches mortes piétinées, puis des voix. Les branches s’écartèrent… et aussitôt, la Sauvagesse eut un geste résigné, aussi bien que rassuré : des blancs envahissaient sa retraite. Évidemment, elle craignait moins les blancs que les gens de sa propre race. Cependant, elle avait espéré être seule, toute seule avec son petit Harl !

Ceux qui envahissaient la retraite de la Sau-