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Page:Lafenestre - Molière, 1909.djvu/115

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l’originalité.

sailles, le Remerciement au Roi, ce seront, en longues processions, des individualités contemporaines qu’il fera défiler sous nos yeux, largement brossées ou croquées sur le vif, en des tableaux parlants, dune couleur franche et chaude, ou des dessins nets et rapides, d’une sûreté incisive et mordante, comme gravés par la pointe à l’emporte-pièce.

Est-ce assez ? Va-t-il s’en tenir à ces juxtapositions de caractères opposés, dans une simple affaire de famille, comme la préparation d’un mariage ? Pas encore. Sa vision s’étend, s’affine, s’élargit. Il ne suffit pas que le défaut ou le vice agisse, dans une brève circonstance, momentanément sur quelques comparses. Il faut qu’il grandisse, s’incarne, avec toutes ses nuances, dans le même homme, et para cet homme réagisse sur toute la famille où il passe, sur toute la société où il vit, pour les bouleverser, les scandaliser, les étonner, les rappeler au bon sens, à la vérité, à la vertu. Ces caractères dominants, représentatifs des grands vices et des grandes vertus, ces surhommes, comme on dirait aujourd’hui, ce seront Tartuffe, Don Juan, Alceste, c’est-à-dire l’Hypocrite, l’Athée, le Misanthrope.

On a, de notre temps, reproché à Molière l’intensité puissante avec laquelle, assemblant et condensant, dans les mêmes personnages, toutes sortes de vices ou travers, le plus souvent épars dans la réalité, il en a fait des très synthétiques, d’une signification générale. Ce ne sont plus, a-t-on dit, des gens de son temps, des individus réels avec des traits particuliers, suffisamment datés par les détails de leur milieu naturel et moral. À force de généra-