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Page:Lafenestre - Molière, 1909.djvu/133

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passions et caractères.

loyauté maladroite, pour qu’il puisse être taxé de folie et d’inconvenance par les pruderies et mensonges du savoir-vivre mondain ; il reste donc suffisamment ridicule aux yeux de tous ceux qu’il humilie par sa supériorité morale pour leur fournir prétexte à le dauber.

Don Juan, non plus, n’est pas exclusivement odieux. Impossible de pousser plus loin l’égoïsme sensuel et la dépravation sentimentale. Aucun des devoirs communs ne compte pour lui. Nulle pitié pour les femmes qu’il déshonore, nul respect pour son père qu’il bafoue, nul souci des serments offerts ni des engagements pris. C’est avec la même désinvolture impertinente et fanfaronne qu’il mystifie ses créanciers et qu’il brave les foudres du ciel. L’athéisme léger et brutal du roué jouisseur exagère en lui toutes ses conséquences. Au fond, comme les héros byroniens, comme tant de sectaires déclamateurs, est-il bien sûr de son athéisme ? Ne serait-il pas fâché qu’il n’y eût nulle part une force inconnue contre laquelle il soit possible à son orgueil de se mesurer de pair à pair ? On le dirait vraiment à la joie chevaleresque qui éclate dans son invitation au convive de pierre, dans la satisfaction confiante avec laquelle il reçoit son signe de tête approbateur, l’accueille et le sert à sa table, et lui promet de lui rendre sa visite. On l’eût pensé déjà, dans la scène du pauvre, lorsque, à la fois touché par l’humble héroïsme de cet affamé qui préfère la mort au blasphème, il lui jette un louis d’or avec un accent de vraie pitié et ce mot d’Humanité qui semble, sur les lèvres ironiques de l’intelligent libertin, malgré