Aller au contenu

Page:Lafenestre - Molière, 1909.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
165
pensée et morale.

le prétexte de fausse dévotion, attaquer la religion elle-même ? Malgré ses protestations publiques dans ses préfaces, dont on suspecte la sincérité, malgré l’assentiment d’innombrables contemporains, chrétiens indubitables et même écrivains ecclésiastiques, aussi virulents que lui dans leurs peintures et dénonciations de l’hypocrisie contemporaine, nombre d’excellents esprits le soutiennent encore. En ridiculisant l’abêtissement d’Orgon, un homme intelligent, honnête, qui a bien servi son pays, mais à qui la pensée de l’Enfer, sous la domination de Tartufe, enlève tout sentiment de ses devoirs paternels, Molière a-t-il voulu condamner toutes les pratiques pieuses, et la religion elle-même ? En donnant à l’athéisme fanfaron de Don Juan une âpreté militante d’ironie satirique, a-t-il révélé la profondeur de ses incrédulités, a-t-il affirmé son propre athéisme ?

C’est aller bien loin, ce semble, sur la route des hypothèses. Molière, assurément, n’avait ni la foi crédule et aveugle du charbonnier, ni la foi conventionnelle, légère ou superstitieuse des mondains. Ses habitudes studieuses, ses prédilections philosophiques, son entourage d’esprits indépendants et raisonneurs, l’absence complète dans son œuvre (en dehors de Tartuffe et de Don Juan) d’une allusion chrétienne ou religieuse ne laissent point croire à son orthodoxie. Il dut, dans la liberté de pensée, aller aussi loin que ses plus francs et hardis contemporains, Gassendi, La Mothe Le Vayer, Descartes et Pascal avant sa conversion. Mais on ne saurait le confondre, non plus qu’eux, avec les libertins débauchés fort nombreux alors à Paris, simples fanfarons