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Page:Laforgue - Œuvres complètes, t4, 1925.djvu/27

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LETTRES 1881-1882

Puis, très souvent, au crépuscule, en rentrant, je m’accoude à ma petite croisée, et je rêve sans pensée, regardant Notre-Dame et les toits et les cheminées, ce sont des moments d’oubli. Puis j’ai la tête si lourde que je m’endors de bonne heure. Figure-toi que, quoique absolument libre, je ne puis m’arracher de mes habitudes. Tiens, quand je sors de chez Ephrussi à midi, qui m’empêche de manger dans son quartier et d’aller de là à la Bibliothèque ?

Et non, mes jambes me portent vite et instinctivement dans notre quartier, et je rôde, sans savoir pourquoi, autour de la rue Berthollet[1], où je n’ai pourtant plus rien à faire ! Quand le soir, à dix heures, je me trouve sortant du cabinet de lecture, je me hâte vers le quartier, comme si tu m’attendais toujours, puissance des habitudes prises ! Le ressort a été monté d’une certaine façon par la main, et la machine marche toujours dans ce sens. Comme ta lettre est triste, ma pauvre petite Marie ; mais il faut de temps en temps de ces séparations, de ces tristesses, pour entretenir la douceur d’enfance de son cœur — tu ne crois pas, tu me trouves cruel peut-être. Mais nous aurons

  1. Où se trouvait, au numéro 5, au premier étage, l’appartement que la famille Laforgue venait de quitter.