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Page:Laforgue - Œuvres complètes, t4, 1925.djvu/26

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ŒUVRES DE JULES LAFORGUE

te l’envoie immédiatement. Et surtout pas de remords. Je sais trop ce que c’est.

Oui, résigne-toi, arrange-toi une petite existence résignée et, dans l’attente, fais-toi des opinions hautaines sur Tarbes, les amies et tout le monde. Songe aux personnages, aux femmes de notre grand Balzac ; pense beaucoup ; emmagasine des idées, réfléchis sur les choses et le caractère, deviens une femme supérieure, digne du monde dans lequel nous vivrons. Quant à la cousine et son digne beau-frère, dis-moi si tu as à te plaindre d’eux ! Moi, non seulement je les méprise mais je nourris encore une petite vengeance contre eux, un rien, une lettre très polie ; mais — bien entendu — je la différerai, cette vengeance, tant qu’elle pourra faire rejaillir sur toi le moindre ennui.

Comme tu dois t’ennuyer, ma pauvre Marie ! Au moins, moi, je vais chez Ephrussi, je passe des après-midi d’oubli à la Bibliothèque. Je ne m’ennuie que lorsqu’averti par la faim je songe qu’il faut manger. Je vois tout le monde entrer dans les restaurants, moi je ne peux pas, alors je monte dévorer mes petites provisions dans ma chambre, ou je vais sur un banc caché du Luxembourg. Mais ne t’inquiète pas, va, je suis très heureux.