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Page:Laforgue - Œuvres complètes, t6, 1930.djvu/75

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BERLIN. LA COUR ET LA VILLE

intimes qui vivent depuis cinquante ans à la cour lui ont connu une « première manière » bien différente. Le prince digne, correct, détestant les familiarités, ne réservant pas à la seule armée son respect sinon son intérêt, écoutant volontiers parler, ne tranchant sur aucun sujet, évitant tout ce qui pourrait être pris pour des mots historiques, le souverain que nous voyons aujourd’hui a été façonné d’abord par la princesse Augusta, femme supérieure et toute à l’idéal qu’elle se fait de son rang, ensuite par le caractère providentiel, et sacré pour lui, des événements soudains dont il s’est vu, au déclin de sa vie, choisi pour l’instrument mystérieux.

Le prince royal d’autrefois, avec ses avantages de beau militaire, avec ses facultés qui le confinaient dans la pure étude pratique de l’armée, semblait n’avoir d’autre but que de mériter le sobriquet qu’on lui donnait ouvertement, de unter-offizier : — sous-officier, être un vrai sous-officier prussien, fier de sa moustache, un mangeur de cœurs, méprisant université, livres, musique, beaux-arts, tout, en dehors de l’uniforme et de la parade, et avec cela, tranchant sur tout. La princesse Augusta, d’origine russe, élevée à Weimar, dans la socié-