Aller au contenu

Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 1.djvu/324

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
322
MÉDITATIONS

pore à ce vent et à ce bruit. Ma vie était dans mon cœur, jamais dans mon esprit.

Cependant Virieu m’introduisit pour ainsi dire par force dans deux ou trois salons où il était adoré. Il y parlait sans cesse de son ami le sauvage et le mélancolique ; il récitait quelquefois de ses vers ; il donnait envie de me connaître. Il me conduisit ainsi chez madame de Sainte-Aulaire, sa cousine, chez madame de Raigecourt, chez madame de la Trémouille, chez madame la duchesse de Broglie. Madame de Sainte-Aulaire et son amie madame la duchesse de Broglie étaient, à cette époque, le centre du monde élégant, politique et littéraire de Paris. Le siècle des lettres et de la philosophie y renaissait dans la personne de M. Villemain, de M. Cousin, des amis de madame de Staël enlevée peu d’années avant à la gloire, de tous les orateurs, de tous les écrivains, de tous les poëtes du temps. C’est là que j’entrevis ces hommes distingués qui devaient tenir une si haute place dans l’histoire de leur pays : M. Guizot, M. de Montmorency, M. de La Fayette, Sismondi, Lebrun, les Américains, les Anglais célèbres qui venaient sur le continent ; mais je ne fis que les entrevoir. J’étais moi-même comme un étranger dans ma patrie. Je regardais, j’étais quelquefois regardé ; je parlais peu, je ne me liais pas. Deux ou trois fois on me fit réciter des vers. On les applaudit, on les encouragea. Mon nom commença sa publicité sur les lèvres de ces deux charmantes femmes. Elles me produisaient avec indulgence et bonté à leurs amis ; mais je m’effaçais toujours. Je rentrais dans l’ombre aussitôt qu’elles retiraient le flambeau.

La nature ne m’avait pas fait pour le monde de Paris. Il m’offusque et il m’ennuie. Je suis né oriental et je mourrai tel. La solitude, le désert, la mer, les montagnes, les chevaux, la conversation intérieure avec la nature, une femme à adorer, un ami à entretenir, de longues nonchalances de corps pleines d’inspirations d’esprit, puis de violentes et aventureuses périodes d’action comme celles des Ottomans ou des Arabes, c’était là mon être : une vie tour à tour poétique, religieuse, héroïque, ou rien.

Virieu n’était pas ainsi. Il causait avec une abondance et une