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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 1.djvu/46

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DES DESTINÉES

enfants, ceux-ci se prenaient à pleurer ; et les trois esclaves noires, après avoir répondu par un sanglot à celui de leur maîtresse, se mettaient à chanter des airs assoupissants et des paroles enfantines de leur pays, pour apaiser les deux enfants.

C’était un dimanche : à deux cents pas de moi, derrière les murailles épaisses et hautes de Jérusalem, j’entendais sortir par bouffée, de la noire coupole du couvent grec, les échos éloignés et affaiblis de l’office des vêpres. Les hymnes et les psaumes de David s’élevaient, après trois mille ans, rapportés, par des voix étrangères et dans une langue nouvelle, sur ces collines qui les avaient inspirés ; et je voyais, sur les terrasses du couvent, quelques figures de vieux moines de terre sainte aller et venir, leur bréviaire à la main, et murmurant ces prières murmurées déjà par tant de siècles dans des langues et dans des rhythmes divers !

Et moi j’étais là aussi, pour chanter toutes ces choses ; pour étudier les siècles à leur berceau ; pour remonter jusqu’à sa source le cours inconnu d’une civilisation, d’une religion ; pour m’inspirer de l’esprit des lieux et du sens caché des histoires et des monuments sur ces bords qui furent le point de départ du monde moderne, et pour nourrir d’une sagesse plus réelle, et d’une philosophie plus vraie, la poésie grave et pensée de l’époque avancée où nous vivons !

Cette scène, jetée par hasard sous mes yeux et recueillie dans un de mes mille souvenirs de voyages, me présenta les destinées et les phases presque complètes de toute poésie : les trois esclaves noires, berçant les enfants avec les chansons naïves et sans pensée de leur pays, la poésie pastorale et instinctive de l’enfance des nations ; la jeune veuve turque, pleurant son mari en chantant ses sanglots et la terre,