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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/480

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DE SAINT-POINT.

plus de trois mois, que je ne savais pas ce que je faisais ni ce que je pensais, monsieur. Je mis ma main dans ma poche de veste pour refuser la bourse et pour tout lui rendre. Mes doigts rencontrèrent les siens. Ça me fit froid par tout le corps et chaud au visage, tellement que je n’y voyais plus, que je tremblais d’un frisson, et qu’en démêlant ses doigts des miens, en m’efforçant de retirer de ma poche de veste le cadeau qu’elle s’efforçait de me contraindre de garder, le crucifix, le collier et la bourse de cuir tombèrent sur l’herbe haute entre nous deux.

» Par le même mouvement, sans réflexion, nous nous baissâmes tous les deux, l’un devant l’autre, à genoux, pour les chercher et les ramasser, et nos têtes se rencontrèrent sans se chercher. Une larme d’elle, chaude comme une goutte de pluie d’été, tomba sur le dos de ma main dans l’herbe. Je sentis bien que ce n’était pas de la rosée. « Tiens, me dis-je en moi-même, tout bouleversé, est-ce qu’on pleure aussi tiède pour quelqu’un qu’on voit partir de la maison avec plaisir ? » Ça me fit relever les yeux sur les siens en nous redressant. Justement elle tenait la bourse et le crucifix dans le bout de ses doigts pour me les tendre, et elle levait aussi ses yeux vers moi pour me prier de tout son cœur de les reprendre. Vous auriez dit deux larges fleurs bleues de pervenches de la fontaine, quand en enlevant sa cruche pleine elle laissait par hasard rouler de l’eau sur leurs feuilles. Elle me regardait avec tant d’humilité à travers cette pluie de ses yeux, il y avait tant de prière dans son regard levé en haut vers le ciel ou vers moi, que je me mis à pleurer aussi sans savoir de quoi, et que nous restâmes là un bon moment l’un devant l’autre, sanglotant comme des bêtes, les mains jointes autour de la bourse et du crucifix, sans plus parler que si nous avions été deux troncs d’arbres.

» À la fin, je me fis courage et je lui dis, en n’osant plus lui dire toi comme autrefois, je lui dis : « Denise, vous ne