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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 8.djvu/185

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çus. Voici mon costume de voyage : une chemise de grosse toile de coton rapiécée ; une gombaz sale et déchirée ; une vieille caffié avec un morceau de toile, jadis blanche, pour turban ; un manteau de peau de mouton ayant perdu la moitié de sa laine, et des souliers raccommodés jusqu’à peser quatre livres ; plus, une ceinture de cuir de laquelle pendait un couteau de deux paras, un briquet, un peu de tabac dans un vieux sac, et une pipe. Je me noircis les yeux et me barbouillai le visage, puis me présentai ainsi fait à Scheik-Ibrahim pour prendre congé de lui. En me voyant, il se mit à pleurer : « Que le bon Dieu, dit-il, vous donne la force d’accomplir votre généreux dessein ! Je devrai tout à votre persévérance. Que le Très-Haut vous accompagne, et vous préserve de tout danger ; qu’il aveugle les méchants et vous ramène ici, afin que je puisse vous récompenser ! » Je ne pus m’empêcher de pleurer à mon tour. À la fin pourtant, la conversation étant devenue plus gaie, Scheik-Ibrahim me dit en plaisantant que si j’allais à Paris dans ce costume, je pourrais facilement gagner de l’argent à me faire voir.

Nous soupâmes, et au coucher du soleil je me mis en route. Je marchai sans fatigue jusqu’à minuit ; mais alors mes pieds commencèrent à s’enfler : mes souliers me blessaient, je les ôtai. — Les épines de la plante que broutent les chameaux me piquaient, et les cailloux me déchiraient. — Je tâchai de remettre ma chaussure ; de souffrance en souffrance, je cheminai jusqu’au matin. — Une petite grotte nous offrit un abri pour le jour. — Je pansai mes pieds, en les enveloppant d’un morceau de mon habit que j’arrachai, et m’endormis sans avoir la force de prendre aucune nourri-