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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 9.djvu/18

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le monde politique, je me confine dans le monde moral. Continuez, si vous pouvez, d’enchaîner, de classer, d’asservir, de profaner les peuples. Je vais émanciper les âmes. Je mettrai deux mille ans peut-être à renouveler les esprits avant d’éclore dans les institutions. Mais un jour viendra où ma doctrine s’échappera du temple et entrera dans le conseil des peuples. Ce jour-là le monde social sera renouvelé. »

Ce jour était arrivé. Il avait été préparé par un siècle de philosophie sceptique en apparence, croyante en réalité. Le scepticisme du dix-huitième siècle s’attachait aux formes et aux dogmes du christianisme ; il en adoptait avec passion la morale et le sens social. Ce que le christianisme appelait révélation, la philosophie l’appelait raison. Les mots étaient différents sous certains rapports, le sens était le même. L’émancipation des individus, des castes, des peuples, en dérivait également. Seulement, le monde antique s’était affranchi au nom du Christ ; le monde moderne voulait s’affranchir au nom des droits que toute créature a reçus de Dieu. Mais tous les deux faisaient découler cet affranchissement de Dieu ou de la nature. La philosophie politique de la Révolution n’avait pas même pu inventer un mot plus vrai, plus complet et plus divin que le christianisme, pour se révéler à l’Europe, et elle avait adopté le dogme et le mot de fraternité. Seulement, la Révolution française attaquait la forme extérieure de la religion régnante, parce que cette religion s’était incrustée dans les gouvernements monarchiques, théocratiques ou aristocratiques qu’on voulait détruire. C’est l’explication de cette contradiction apparente de l’esprit du dix-huitième siècle, qui empruntait tout du christianisme en politique et qui le reniait en le dépouillant. Il y avait à la fois une violente