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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 9.djvu/254

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bords du Rhin. C’était la pointe de l’épée russe sur le cœur même de la France.

Puissance militaire avant tout, son gouvernement n’était qu’une discipline, son peuple n’était qu’une armée. Quant aux idées, sa politique était de se mettre à la tête des États protestants et d’offrir appui, force et vengeance à tous les intérêts, à toutes les ambitions qu’offensait la maison d’Autriche. Par sa nature, la Prusse était une puissance révolutionnaire.

La Russie, à qui la nature avait accordé une place ingrate mais immense sur le globe, la neuvième partie de la terre habitable, et une population de quarante millions d’hommes épars, que le génie sauvage de Pierre le Grand avait contrainte à s’unir en nation, semblait flotter encore indécise entre deux pentes, dont l’une l’entraînait vers l’Allemagne, l’autre vers l’empire ottoman. Catherine II la gouvernait ; femme antique à grandes proportions de beauté, de passions, de génie et de crimes, comme il en faut aux barbares, pour ajouter le prestige de l’adoration à la terreur du sceptre. Chacun de ses pas vers l’Asie avait un écho d’étonnement et d’admiration en Europe. Le nom de Sémiramis revivait pour elle. La Russie, la Prusse et la France, intimidées par sa renommée, applaudissaient à ses combats contre les Turcs et à ses conquêtes sur la mer Noire, sans paraître comprendre qu’elle déplaçait là le poids de la balance européenne, et qu’une fois maîtresse de la Pologne et de Constantinople, rien ne l’empêcherait de se retourner contre l’Allemagne et d’étendre son autre bras sur l’Occident tout entier.