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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 9.djvu/406

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burin, et y réussit comme à toute chose. Elle n’en tirait pas encore de salaire ; mais, à l’époque de la fête de ses grands parents, elle leur portait pour son tribut tantôt une tête qu’elle s’était appliquée à dessiner dans cette intention, tantôt une petite plaque en cuivre sur laquelle elle avait gravé des emblèmes ou des fleurs ; on lui donnait, en retour, des bijoux ou des objets destinés à sa parure, qu’elle confesse avoir toujours recherchés.

Mais ce goût, naturel à son sexe et à son âge, ne la détachait pas des occupations les plus humbles du ménage. Elle ne rougissait pas, après avoir paru le dimanche à l’église ou à la promenade dans une toilette enviée, d’aller, dans la semaine, en robe de toile, au marché à côté de sa mère. Elle sortait même seule pour acheter, à quelque pas de la maison, du persil ou de la salade, que la ménagère avait oubliés. Bien qu’elle se sentît un peu ravalée par ces soins domestiques, qui la faisaient descendre des hauteurs de son Plutarque ou du ciel de ses rêves, elle y mettait tant de grâce associée à une dignité si naturelle, que la fruitière se faisait un plaisir de la servir avant ses autres pratiques, et que les premiers arrivés ne s’offensaient pas de ce privilége. Cette jeune fille, cette Héloïse future du dix-huitième siècle, qui lisait les ouvrages sérieux, qui expliquait les cercles de la sphère céleste, qui maniait le crayon et le burin, et qui roulait déjà des mondes de pensées hardies et de sentiments passionnés dans son âme, était souvent appelée à la cuisine pour éplucher des herbes. Ce mélange d’études graves, d’exercices élégants et de soins domestiques, ordonnés par la sagesse de sa mère, semblait la préparer de loin aux vicissitudes de sa fortune, et l’aida plus tard à les supporter. C’était encore Rousseau aux Char-