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Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/366

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la foi chrétienne et contre l’autorité de l’Église, fondée sur cette foi, déterminent son point de vue. Aussi son matérialisme grandissait-il en proportion de l’aigreur de sa lutte contre la foi. Néanmoins il ne s’est jamais exprimé nettement à propos de l’immortalité de l’âme. Il flottait indécis entre les arguments qui la rendent invraisemblable, et les arguments pratiques, qui semblent en recommander l’adoption. Ici encore nous trouvons un détail qui fait penser à Kant : on maintient comme base et appui de la vie morale une théorie, que la raison déclare tout au moins indémontrable (24).

En morale, Voltaire suivit aussi des impulsions anglaises. Ici toutefois son autorité ne fut pas Locke, mais un élève de Locke, lord Shaftesbury ; ce personnage nous intéresse principalement par la grande influence qu’il exerça sur les intelligences qui dirigèrent l’Allemagne au XVIIIe siècle. Locke avait semblablement, sur le terrain de la morale, combattu les idées innées, et popularisé d’une manière dangereuse le relativisme du bien et du mal, établi par Hobbes. Il compile toutes les descriptions possibles de voyages pour nous raconter que les Mingréliens enterrent, sans aucun remords, leurs enfants vivants, et que les Topinambous croient mériter le paradis en tuant et en dévorant force ennemis (25). Voltaire utilise aussi parfois de semblables récits, mais ils ne l’ébranlent point dans sa conviction que l’idée du juste et de l’injuste est au fond partout une seule et même idée. Si elle n’est pas innée chez l’homme, à titre d’idée parfaitement déterminée, celui-ci apporte du moins en naissant la faculté de la concevoir. Nous naissons avec des jambes, quoique nous ne sachions nous en servir que plus tard ; de même nous apportons, pour ainsi dire, en naissant, l’organe qui nous fera distinguer le juste et l’injuste ; et le développement de notre esprit provoque nécessairement la fonction de cet organe (26).

Shaftesbury était entraîné par une ardeur enthousiaste vers l’idéal. La conception toute poétique, qu’il se faisait du monde, avec sa tendance pure vers le beau, et sa profonde