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Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/367

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intelligence de l’antiquité classique, était particulièrement de nature à agir sur l’Allemagne, dont la littérature nationale entrait dans la voie de son riche développement. Les Français lui firent également de nombreux emprunts, qui ne consistaient pas uniquement en enseignements positifs tels que celui-ci : dans chaque poitrine d’homme se trouve le germe naturel de l’enthousiasme pour la vertu. Mais étudions d’abord cette doctrine ! Locke n’avait au fond parlé de l’enthousiasme qu’en termes défavorables : c’était, selon lui, la source du fanatisme et de l’exaltation, le produit funeste, complètement antirationnel d’un cerveau surexcité (27). Une telle idée est bien en rapport avec la sécheresse et la stérilité prosaïques de sa conception générale de l’univers. Sur ce point Shaftesbury est guidé plus sûrement par son sens poétique que Locke par son entendement. Il découvre dans l’art, dans le beau, un élément qui ne trouve aucune place dans la psychologie de Locke, si ce n’est à côté de l’enthousiasme déprécié ; et cependant l’importance et la grandeur de cet élément paraissent tout à fait incontestables à Shaftesbury. La question s’illumine ainsi d’un brillant rayon de lumière et, sans nier que l’enthousiasme produise le fanatisme et la superstition, Shaftesbury n’y voit pas moins la source de ce que l’esprit humain possède de plus grand et de plus noble. Shaftesbury vient de trouver le point où la morale prend naissance. De la même source découle la religion ; la mauvaise, il est vrai, comme la bonne ; la consolatrice de l’homme dans l’infortune, comme la furie qui allume les bûchers ; le plus pur élan du cœur vers Dieu, comme la plus odieuse profanation de la dignité humaine. De même que chez Hobbes, la religion devient de nouveau l’alliée directe de la superstition. Toutefois, pour les séparer l’une de l’autre, ce n’est pas le glaive pesant de Léviathan, mais le jugement esthétique que Shaftesbury fait intervenir. Les hommes de bonne humeur, gais et contents, se créent des divinités nobles, sublimes et pourtant amicales et bienfaisantes ; les ca-