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Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/368

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ractères sombres, mécontents, hargneux, inventent les dieux de la haine et de la vengeance.

Shaftesbury s’efforce de faire rentrer le christianisme dans la série des religions sereines et bienveillantes ; mais quelles entailles il est réduit à faire au corps du christianisme « historique ! » Quel blâme énergique il dirige contre les institutions de l’Église ! Quelle condamnation sans appel il prononce contre mainte tradition, que les croyants regardent comme sacrée et inviolable

Nous avons de Shaftesbury un jugement sévère sur l’attitude prise vis-à-vis de la religion par Locke, ce maître qu’il révérait habituellement. Ce blâme, au reste, n’est pas individuel, mais s’adresse à l’ensemble des déistes anglais qu’il accuse de hobbisme. Le point capital de sa tirade à l’adresse de la plupart des libres-penseurs anglais se trouve dans l’imputation, qu’il lance contre eux, d’être intimement hostiles à ce qui constitue précisément l’esprit et l’essence de la religion. D’autre part, l’éditeur des œuvres de Locke se croit autorisé à retourner le trait contre le critique et, en défendant l’orthodoxie de Locke, il traite Shaftesbury d’incrédule, qui ridiculise la religion révélée, et d’enthousiaste qui exagère les principes de la morale (28).

L’éditeur n’a pas complètement tort, surtout s’il juge Shaftesbury au point de vue clérical, qui élève l’autorité de l’Église au-dessus des doctrines qu’elle enseigne. Mais on peut aller plus loin et dire : Shaftesbury était au fond plus rapproché que Locke de l’esprit de la religion en général ; mais il ne comprenait pas l’esprit véritable du christianisme. Sa religion était celle des hommes heureux, qui n’ont pas beaucoup de peine à être de bonne humeur. On a dit que sa conception du monde était aristocratique ; il faut compléter cette définition, ou mieux la rectifier : sa conception de l’univers est celle de l’enfant, naïf et sans souci, des classes privilégiées, qui confond son horizon avec celui de l’humanité. Le christianisme a été prêché comme la religion des pauvres