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Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/150

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maine pour en tirer des conclusions à longue portée, ou bien de les soumettre à une nouvelle interprétation relativement au mode d’après lequel le phénomène provient des causes dernières des choses. Si les résultats des sciences ne pouvaient être interprétés que par les inventeurs — et telle serait la triste conséquence de cette prétention, — on mettrait en péril l’enchaînement systématique des sciences, et la culture supérieure de l’esprit en général. Sous certains rapports, c’est le cordonnier qui apprécie le mieux une chaussure ; sous d’autres rapports, c’est celui qui la porte ; sous d’autres rapports enfin, c’est l’anatomiste, le peintre et le sculpteur. Un produit industriel est jugé non-seulement par le fabricant, mais encore par le consommateur. Souvent celui qui achète un outil sait mieux s’en servir que celui qui l’a confectionné. Ces exemples sont applicables ici, malgré leur trivialité. Celui qui a parcouru attentivement tout le domaine des sciences de la nature, pour se faire une idée de l’ensemble, appréciera souvent l’importance d’un fait isolé mieux que celui qui l’aura découvert.

On voit du reste aisément que le travail de celui qui veut obtenir une vue d’ensemble de la nature est essentiellement philosophique ; on peut donc se demander si le matérialisme ne mérite pas à bien plus juste titre que les doctrines adverses le reproche de dilettantisme philosophique. C’est en effet ce qui est arrivé assez souvent, mais cela ne nous aide en rien pour une critique impartiale du matérialisme. D’après le sens rigoureux du mot, on devrait appeler dilettante celui qui n’a pas fait d’études sérieuses ; mais quelle est l’école philosophique assez sûre de la solidité de son enseignement pour pouvoir tracer une ligne de démarcation entre les juges compétents et les juges incompétents ? Aujourd’hui, dans les sciences positives comme dans les arts, nous pouvons partout dire ce qu’est une école ; mais non en philosophie. Si nous faisons abstraction du sens spécial qu’acquiert le mot, quand il s’agit de la transmission individuelle