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Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/481

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pas du nombre des besoins satisfaits, ni de la difficulté de les satisfaire, mais de la forme sous laquelle les besoins naissent et sont satisfaits, de même que la beauté du corps n’est pas déterminée par une accumulation de chairs et d’os, mais par la présence de certaines lignes mathématiques. Une pareille évolution d’idées ferait passer du matérialisme moral au formalisme ou à l’idéalisme ; elle ne se pourrait imaginer sans l’élimination de l’insatiable cupidité et ne pourrait guère naître que de la philanthropie poussée jusqu’au sublime.

Jusqu’ici l’économie politique ne s’est pas préoccupée de ramener la répartition des biens à des principes rigoureux ; elle a accepté, au contraire, comme donnée invariable, la situation résultant des rapports entre le capital et le travail ; elle n’a songé qu’au mode de créer la plus grande masse possible de biens. Cette conception matérialiste de la question s’harmonise complètement avec la reconnaissance des droits de l’égoïsme et avec la défense ou l’éloge de la cupidité. On cherche à démontrer que le progrès amené par les efforts incessants de l’égoïsme améliore toujours un peu même la condition des couches les plus opprimées de la population, et l’on oublie ici l’importance de la comparaison avec autrui, laquelle joue un si grand rôle chez les riches. En face des abus les plus criants, on rêve une espèce d’harmonie préétablie, en vertu de laquelle la société trouve les plus grands avantages à ce que chacun poursuive à outrance ses propres intérêts. Si cela se produit, surtout aujourd’hui que les apologistes ont conscience du mal qu’ils font, cela se produisait pourtant, mais avec une naïveté incontestable, à l’époque où naquit l’économie politique. C’était au XVIIIe siècle un usage général de faire découler le bien-être de la société du concours de tous les efforts égoïstes. On avait beau protester contre les exagérations de la célèbre fable des abeilles, de Mandeville (1723), la maxime que même les vices contribuent au bien-être général n’en restait pas moins un article