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Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/66

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les intuitions, fournies par les sens, que les concept a priori peuvent en général s’appliquer à un objet. La sensibilité réalise l’entendement. Mais alors si la chose’est ainsi, comment est-il possible de conclure à une « chose en soi », placée derrière les phénomènes ? L’idée de causalité ne deviendrait-elle donc pas de la sorte transcendante ? Ne sera-t-elle pas appliquée à un prétendu objet, situé au delà de toute expérience généralement possible ?

Avec cette objection, depuis les premières répliques à la Critique de la raison pure jusqu’au moment actuel, on a cru chaque fois battre Kant, et nous aussi, dans la première édition du présent ouvrage, nous avons dit que la « cuirasse du système » avait là son défaut. Mais une étude plus approfondie prouve que Kant avait pris ses précautions pour parer ces coups. Ce que nous avons donné comme une amélioration du système est en réalité l’opinion véritable de Kant : la « chose en soi » n’est qu’un concept limitatif. « Le poisson du vivier, faisions-nous observer, ne peut nager que dans l’eau et non sur la terre ; mais il peut pourtant heurter de la tête le fond et les parois. » Nous aussi pourrions de la sorte avec l’idée de causalité mesurer tout le domaine de l’expérience, et trouver qu’il y a au delà de ce domaine une région entièrement inaccessible à notre faculté de connaître (35).

Nous ne savons donc réellement pas si une « chose en soi » existe. Nous savons seulement que l’application logique des lois de notre pensée nous conduit à l’idée d’un quelque chose d’entièrement problématique, que nous admettons comme cause des phénomènes, dès que nous avons reconnu que notre monde ne peut être qu’un monde de la représentation (Vorstellung). Si l’on se demande : Mais où restent donc maintenant les choses ? la réponse sera : Dans les phénomènes. Plus la « chose en soi » se volatilise et se réduit à une simple représentation, plus le monde des phénomènes acquiert de réalité. Il comprend en général tout ce que nous pouvons