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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/100

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BOILEAU.

dire que le poète n’écrit pas par fantaisie, pour se montrer, déployer son agilité ou ses grâces devant le public. Ce n’est pas un acrobate qui fait ses tours : c’est un peintre qui lutte contre son modèle, pour l’exprimer tout entier sur sa toile. Faire d’après nature, c’est-à-dire se subordonner à la nature, n’avoir d’esprit et d’art que ce qu’elle en demande pour revivre dans une image fidèle, la prendre, elle, et non soi ni sa gloire, pour unique raison d’être de l’ouvrage, et si l’on s’y met soi-même, s’y mettre sans y songer, naïvement, par accident et par surcroît, voilà, pour un poète, ce que c’est que tendre au bon sens.

Ce bon sens-là, c’était justement ce qui manquait le plus à la littérature française, vers 1660, quand Boileau commença d’écrire. Toutes les victimes immolées dans les Satires étaient coupables envers le bon sens, qui est la vérité, qui est encore la nature. Tous également, chacun à sa façon, prétendaient renchérir sur la nature, et faire mieux qu’elle ; par une délicatesse aristocratique, ils en avaient peur, comme trop grossière, ou mépris, comme trop simple. Les uns, romanciers à grands sentiments ou tragiques doucereux, inventaient des modes de penser et de sentir que l’âme humaine n’avait jamais éprouvés, un héroïsme plus héroïque, un amour plus amoureux que tout ce qu’on voit dans la vie. Ils enjolivaient à plaisir une idée de leur esprit ou de l’esprit public, et figuraient Artamène ou Astrate, qui ne représentent aucune réalité vivante. D’autres