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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/11

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L’HOMME.

La vie d’abord lui fut dure. Il avait dix-huit mois quand sa mère mourut : comme si le sort voulait que la femme ne tînt aucune place dans sa vie, pas même par la pure tendresse maternelle. Gilles, veuf pour la seconde fois, ne se remaria pas, et l’enfant grandit dans un triste logis, sans mère, le père absent, aux mains d’une servante grondeuse et rude. Peut-être faut-il attribuer en partie à la contrainte et à la solitude de sa première enfance la sécheresse de son œuvre et la courte haleine de sa verve ; il fut habitue à se renfermer, et jamais une indulgente affection ne l’encouragea à laisser librement jaillir ses émotions dans leur vive et naturelle abondance. Il avait de grandes sœurs, pourtant, pour en être aimé ; il avait une petite sœur, pour l’aimer : je ne vois pas qu’il ait jamais eu d’étroite intimité avec elles. Une petite cousine de son âge, qui mourut jeune, lui inspira peut-être plus d’amitié. Mais tous ces Boileau, à en juger par les trois ou quatre individus de la famille que nous connaissons bien, tous ces Boileau n’étaient pas tendres, et notre poète, en particulier, n’était assurément pas né très sensible ni très délicat : aussi ne s’étiola-t-il pas, pas plus qu’il ne se renfrogna, dans le délaissement de ses premières années. Il resta vigoureux et sain d’esprit, il garda toute sa bonté et toute sa gaieté : c’est une preuve que l’éducation, qui ne l’a pas attendri, ne l’a pas non plus mutilé.

Nous ne savons pas grand’chose sur sa première enfance. Gilles possédait une vigne à Clignancourt,