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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/129

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LA CRITIQUE DE BOILEAU.

faire saillir la fausseté, qu’on pourra y substituer peu à peu celle que l’on a prise dans l’étude directe de la réalité. Cela est nécessaire au théâtre plus qu’ailleurs. Le lecteur isolé peut être séduit ou intimidé : l’auteur imprimé lui impose. Au théâtre, le rapport est renversé ; les spectateurs se sentent forts contre le poète ; ils sont deux mille contre un. S’il ne leur offre pas ce qui est conforme à leur croyance, il faut qu’il dise pourquoi : sinon, s’il se contente de nous contrecarrer, c’est lui qui se trompe. Nous n’admettons pas que tant de sensibilités, d’intelligences et d’expériences diverses, réunies sans concert préalable dans une commune impression, ne soient pas de plus sûrs garants du possible et du réel que le génie particulier d’un homme.

De là cette théorie de la tragédie, dans l’Art poétique, où tout est subordonné à la vraisemblance. L’action d’abord sera vraisemblable. Il ne suffit pas qu’elle soit vraie. Il est vrai qu’Horace a tué sa sœur. Il est vrai — la légende, au théâtre, c’est de l’histoire — que Médée a tué ses enfants. La réalité du fait, disait Aristote (et Corneille après lui), en démontre la possibilité. La vérité historique est le fondement de la vraisemblance. Non, dirait Boileau : quand même j’ai la connaissance du fait, je ne saurais encore me passer de comprendre le fait. Le poète tragique n’est pas soumis à d’autres conditions que le poète comique : il faut qu’il compose sa Médée ou son Horace, que l’histoire lui donne, comme celui-ci son Alceste ou son Harpagon, qui