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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/128

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BOILEAU.

c’est à condition qu’on la fasse sentir. Boileau respecte le public, qui peut bien pour un temps être aveugle ou injuste, mais dont, en somme, la voix finit par être celle de la souveraine raison ; et nous avons vu quelle importance il attribuait au consentement universel, pour marquer les chefs-d’œuvre. Avant tout, donc, il faut mettre le public de son côté. Le plus simple, ce serait, sans doute, de tout tirer de l’opinion et de servir au public ce qu’on sait être dans la moyenne de ses idées et de son goût : mais ce serait se condamner à la médiocrité, à la banalité. Boileau, naturaliste sincère, ne l’entend pas ainsi. On ne se contentera pas du vraisemblable : mais on s’efforcera de rendre le naturel vraisemblable. On ne renoncera pas, par respect pour le public, à ce qu’on sait être la vérité humaine : il applaudit Astrate, on lui présentera Andromaque. Il trouve Pyrrhus brutal, et pas assez Céladon, on lui donnera Néron. Mais on ne lui jettera pas violemment la vérité toute crue : où est le mérite de révolter le public ? Un art supérieur le domine ou l’apprivoise, lui insinue la vérité qu’il rejette, et lui fait croire ce qu’il estimait choquant et impossible. Le succès est à ce prix : car

Une merveille absurde est pour moi sans appas :
L’esprit n’est point ému de ce qu’il ne croit pas.


Il faut, par suite, en traduisant la nature, avoir l’œil sur l’idée que le public s’en fait ; et ce n’est qu’en ménageant cette idée, pour s’y accommoder ou en