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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/131

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LA CRITIQUE DE BOILEAU.

Selon notre expérience, imperfection est indice de réalité. Que La Motte a tort de se plaindre qu’Homère ait fait ses héros grossiers ou brutaux ! Si Achille est fier, violent, rancunier, tant mieux :

À ces petits défauts marqués dans sa peinture,
L’esprit avec plaisir reconnaît la nature.

— Enfin sur tous les héros de la légende et de l’histoire, j’ai une idée ; mon voisin du parterre ou des loges en a une aussi, plus ou moins nette : et de toutes ces idées particulières se compose une opinion moyenne qui détermine les caractères, et que le poète doit éviter de choquer directement. Non pas que le but de l’art soit d’exprimer les personnages historiques dans leur individualité, ni qu’il importe en soi si l’athée s’appelle Enée ou Mézence, ou le fratricide Néron ou Marc-Aurèle : mais ces noms évoquent dans les esprits certaines images indestructibles et irréfrénables, dans lesquelles doit nécessairement se couler l’étude de psychologie générale. Si l’on est occupé à contester la ressemblance historique, on ne regardera pas la vérité humaine du rôle. — Pour la même raison, le poète tiendra compte des différences que les climats, les époques, la civilisation mettent entre les peuples. Il ne s’agit pas, encore ici, de peindre des Persans, ni des Turcs, ni des Grecs, mais des hommes. Seulement, pour que rien ne vienne nous distraire du fond, il faut que la forme ne contrarie pas l’idée que nous nous faisons de la réalité historique. Cela n’a pas de rap-