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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/133

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LA CRITIQUE DE BOILEAU.

pas assez encore : il faut qu’elle plaise. Et voilà encore par où Boileau se sépare de certains naturalistes, pour qui l’émotion, l’intérêt, l’agrément sont d’indignes concessions à la frivolité, à la stupidité des bourgeois. On consent encore à être « cruel », « féroce » ; mais être touchant ou aimable, évoquer la pitié ou la sympathie, jamais. Boileau n’eût pas compris que l’impersonnalité et l’objectivité eussent pour conséquences l’impassibilité ; et il est curieux que ce sévère pontife de la raison soit justement l’homme qui ait le plus fortement maintenu les droits de l’imagination et de la sensibilité au théâtre. Comme Molière et comme Racine, Boileau ne saurait admettre que la poésie n’ait pas pour objet de plaire. Il faut traduire son observation, conformer son imitation, de façon que non seulement on en reconnaisse l’éternel modèle, mais qu’encore cette reconnaissance soit un plaisir. Ce plaisir varie de qualité selon les genres : dans la comédie, c’est le rire. Dans la tragédie, c’est la « douce terreur », la « pitié charmante » ; ce sont les pleurs. De la plus horrible réalité, l’imitation tragique tire une émotion agréable. L’artiste qui parle à notre intelligence, qui nous démontre scientifiquement, exactement, froidement, le mécanisme de l’âme humaine ne nous satisfait pas : le théâtre n’est pas une école pratique de psychologie. Nous n’y venons pas chercher une leçon : il faut qu’on nous amuse. Voilà pourquoi la tragédie doit être pathétique, ne pas nous décrire les caractères en repos, mais les figurer dans la passion,