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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/201

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LA CRITIQUE DE BOILEAU.

certain sens de la forme, par une sorte d’atrophie de l’ouïe et de la vue. Ses vrais artistes et ses grands poètes, un Marivaux, le Voltaire des Contes, un Buffon, un Rousseau, se créent une prose, et laissent le vers, dont ils ne savent l’emploi. C’est que le vers s’est dégradé aux mains de tous les écrivains en vers. N’ayant pas plus l’oreille que l’âme du poète, ils ont évité l’hiatus et l’enjambement, coupé les alexandrins à l’hémistiche, apparié des rimes plates et sourdes, aligné des lignes de dix ou douze syllabes sévèrement comptées : ils ont réduit la poésie au vers, le vers aux procédés matériels, au mécanisme ; et ils se sont applaudis d’avoir pris tant de peine pour écrire à des conditions si rigoureuses comme ils auraient écrit librement en prose. Vraiment on est tenté, quand on lit de tels poètes, de donner raison aux Lamotte, aux Montesquieu, aux Buffon, à tous les détracteurs de la poésie ; ce n’est pas la peine de faire des vers si, au bout du compte, il ne s’agit que de donner l’impression de la prose. Voltaire s’indignait contre ces téméraires novateurs ; Boileau eût crié plus haut encore ; mais est-ce à dire qu’il eût été satisfait de l’usage où Voltaire et les versificateurs de ce siècle ravalaient l’instrument naturel de la poésie ? Ces gens-là savaient et pensaient bien des choses dont l’honnête Despréaux ne s’est jamais inquiété ni douté : mais il y avait une chose qu’ils ne soupçonnaient pas, et que ce « correct auteur de quelques bons écrits » entendait à merveille : ce que c’est