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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/24

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BOILEAU.

son côté le moins grave, celui des libertins et des viveurs. Ces Vitry, ces Vivonne, ces Gourville n’ont pas l’esprit plus réglé que les mœurs ; Barillon, l’ami de La Fontaine, appartient à ce groupe sceptique que Saint-Evremond représente devant la postérité ; et c’est chez Broussin, devant Boileau, que l’épicurien Molière, s’il faut en croire la légende, lisait sa traduction perdue de Lucrèce. Au temps même de l’Art poétique, en 1671, dans la pleine maturité de son admirable raison, Boileau, qui approche de ses trente-cinq ans, fréquente chez la Champmeslé et chez Ninon de Lenclos. Il n’y va pas pour le même intérêt que Racine : nulle fougue des sens, nulle ivresse du cœur ne l’entraîne, et l’on ne saisit même pas dans son œuvre, comme dans un coin du livre de La Bruyère, la trace d’une joie ou d’une souffrance qui lui soit venue par la femme. Tout se termine pour lui à la table, aux fins soupers, et aux débauches d’esprit. Un jour, avec Molière, entre Ninon et Mme de la Sablière, il fabrique le latin macaronique du Malade imaginaire. D’autres fois il venait boire le Champagne chez la Champmeslé, entre le mari et Racine, qui faisait les frais de la fête : ou bien il présidait une partie carrée, Racine avec la Champmeslé, le jeune Sévigné avec Ninon : et c’étaient « des soupers délicieux, c’est-à-dire des diableries ». Nous pouvons croire Mme de Sévigné ; on sait ce qu’est Ninon, et pour s’asseoir entre la philosophe et la comédienne, il fallait n’être assurément ni prude ni dévot.