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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/36

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BOILEAU.

semble pas aux fusées d’imagination qui partent au hasard dans nos conversations. L’esprit d’autrefois était un jeu savant, une escrime réglée : il y fallait de l’invention, mais aussi du jugement, de la raison et de la science. À ce vieux jeu, Boileau était passé maître. Il excellait à engager l’adversaire, à en tirer les ripostes qui insensiblement le découvraient. Il savait mettre en valeur un argument foudroyant par d’astucieux silences qui le faisaient croire lassé ou vaincu. C’était un mélange original de malice bourgeoise, et de mouvements littéraires, employés avec une aisance, un à-propos saisissants, et soutenus d’une mimique expressive : car Boileau jouait en perfection ses plaisanteries.

Un jour, à Bâville, on disputait sur l’amour de Dieu, et un père jésuite soutenait que dans la Pénitence la contrition n’est pas nécessaire, et que l’attrition, causée par la crainte de l’enfer sans amour de Dieu, suffit à la justification du pécheur. Depuis longtemps on bataillait, et Despréaux n’avait rien dit encore : soudain il se lève, marche au père Cheminais, et lui lance avec son impeccable diction cette éclatante tirade : « Ah ! la belle chose que ce sera, au jour du dernier jugement, lorsque Notre-Seigneur dira à ses élus : « Venez, les bien-aimés de mon Père, parce que vous ne m’avez jamais aimé de votre vie ; que vous avez toujours défendu de m’aimer, et que vous vous êtes toujours fortement opposés à ces hérétiques, qui voulaient obliger les chrétiens de m’aimer ! Et vous, au contraire, allez