Aller au contenu

Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/49

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
45
LA POÉSIE DE BOILEAU.

ou de V. Hugo ? Il suffit de n’être pas tout à fait insensible. Parce qu’il faut un sentiment plus fin pour saisir le caractère de l’art de Boileau, est-ce une raison pour nier qu’il soit poète ?

Où donc est la poésie de Boileau ? C’est ici qu’il faut secouer tous les préjugés qu’on se passe de main en main depuis plus d’un siècle. Tous nos jugements sur les vers de Boileau sont des survivances de Marmontel ou de Th. Gautier, quand nous traitons de bagatelles triviales le Repas ridicule, les Embarras de Paris et le Lutrin, ou quand nous nous figurons une poésie abstraite et banale, une élégance monotone et sans expression, des vers nus et décharnés, implacablement alignés et coupés à l’hémistiche, pareils à une rangée de mannequins qui seraient tous pliés par le milieu du corps.

Il faut prendre garde aussi de ne pas confondre la poésie avec la technique qui sert à la réaliser, avec les procédés de versification et de style. La technique a changé depuis Boileau, et notre oreille habituée au vers romantique, au vers parnassien, et que n’étonne déjà qu’à demi le vers symbolique, estime le vers classique un bien pauvre et maigre instrument. Pour être juste, il faut tenir compte de la différence des temps, et ne pas chicaner un écrivain sur les moyens d’expression qu’il a choisis, quand on n’en connaissait pas d’autres de son temps. Ne demandons pas à Boileau l’alexandrin de V. Hugo, souple, disloqué, expressif dans tous ses membres et toutes ses figures, comme le plus savant des pan-