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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/57

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LA POÉSIE DE BOILEAU.

Ce n’est pas là une transposition laborieusement étudiée : l’auteur ancien n’a fait que toucher pour ainsi dire en lui l’image à réveiller, et du fond de son expérience a surgi tout à coup, entre les lignes du texte latin, une physionomie familière et contemporaine.

Et voilà précisément toute la poésie de Boileau : il a vu, et il fait voir. Il n’a pas l’ampleur épique ; il n’a pas l’élan lyrique ; il n’a pas le mouvement oratoire. Mais il rend ce qu’il a perçu de la nature, comme il l’a perçu. Boileau est un réaliste dans toute la force, ou, si l’on veut, dans toute l’étroitesse du terme : si nous séparons dans son œuvre ce qui est virtuosité acquise de ce qui était don naturel, nous ne trouvons rien autre chose en lui. Et entendons bien ce que veut dire ici le mot de réaliste : Boileau sait voir et rendre. Mais pour rendre, il faut qu’il ait vu, effectivement, réellement. Il faut que les choses aient été dans sa sensation pour être dans son imagination, et son vers ne dit rien que son œil ou son oreille n’aient reçu. Il n’a pas l’imagination créatrice, qui donne une forme sensible à l’idéal, à l’immatériel, à ce qui n’est plus, n’est pas encore ou ne sera jamais. Il n’a même pas l’intuition du monde intérieur : le sens des réalités invisibles lui manque.

Surtout il ne doublera guère sa sensation de sentiment : nature droite, brusque, irritable, il manque de sensibilité. Il a le cœur bon : mais sa bonté ne passe pas dans son imagination ; elle se réalise en