Aller au contenu

Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/59

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
55
LA POÉSIE DE BOILEAU.

à Hautîle, sur les bords de la Seine, ou à Bâville, dans ces bois, près de cette fontaine de Polycrène que Sainte-Beuve a chantés après lui. Mais, en somme, la nature resta toujours pour lui une étrangère. Les impressions qu’il retirait des courtes et rares visites qu’il lui faisait, ne se reliaient pas suffisamment à ses idées : ces jouissances ne fournissaient rien à sa raison, et n’avaient pas de valeur intellectuelle ; aussi les goûtait-il sans en faire la matière d’un discours. Mais surtout ces jouissances étaient des jouissances égoïstes ; il portait son moi au milieu de la nature, et ne demandait à l’exquise douceur des choses champêtres que le délassement, le rafraîchissement de son moi, et certaines commodités propres à faciliter l’exercice de sa pensée. En un mot, il couvrait la nature de sa personnalité ; et comment en sentir, comment en rendre le charme si l’on ne s’oublie soi-même en elle ? Nous ne concevons pas ce sentiment sans un amour désintéressé, une sympathie profonde, ni presque sans un tour d’imagination religieusement panthéiste. Boileau ne pouvait ni saisir l’âme de la nature, ni y répandre la sienne. Quant à la peindre en réaliste, pour étaler à nos yeux la richesse des couleurs et la singularité des formes sans en faire les manifestations d’une âme, il lui eût fallu des moyens d’expression que la versification et la langue d’alors ne mettaient pas à sa disposition. Son dessin précis et sec convenait mieux à l’expression des types humains, des ouvrages de l’industrie humaine, des choses enfin et des êtres