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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/60

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BOILEAU.

qu’on peut isoler dans leur figure et leur individualité propres. Aussi a-i-il mieux parlé de son cher Auteuil que de la vraie nature ; ses fruits et ses abricotiers l’inspiraient mieux que les prés et les forêts : car ils étaient à lui ou lui parlaient de lui. Et de plus, un jardin bien dessiné, un potager bien planté, des melons et des fleurs, un jardinier qui porte ses arrosoirs, tous ces objets nettement découpés, tous ces détails sans ensemble, qui ne demandaient point d’adoration mystique, étaient bien plus dans ses moyens que les vastes campagnes pleines d’air où les contours se noient et les couleurs se fondent dans des harmonies d’une infinie délicatesse.

Figurez-vous donc en Boileau un bourgeois de Paris, bon vivant, habitué des cabarets à la mode, élevé dans un monde de greffiers et de procureurs. Depuis sa première enfance, il vit dans le tumulte de la grande ville ; de sa guérite au-dessus du grenier, dans la maison de la cour du Palais, son oreille perçoit chaque jour la clameur aiguë et matinale des coqs, et tous ces bruits de la cité laborieuse qui s’éveille, les coups de marteau du serrurier voisin, les maçons chantant ou s’injuriant sur leurs échafaudages, les charrettes roulant sur le pavé, les courtauds ouvrant les boutiques avec un grand bruit de volets choqués et de voix, et puis les cloches des vingt-six églises ramassées dans l’étroite enceinte de l’île Notre-Dame. Sorti de son logis, il emmagasinait dans sa mémoire tous ces traits qui