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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/63

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LA POÉSIE DE BOILEAU.

Nous savons le goût et la composition des sauces ; le poète nous dit le jus de citron mis dans la soupe, la muscade et le poivre des sauces trop épicées, la blancheur molle et fade du lapin, le goût plat du petit vin d’Orléans.

Même précision serrée et crue dans les Embarras de Paris. Le Lutrin est plus fin, mais plus mêlé. Le poème manque d’action ; la narration se traîne souvent et le dialogue est pesant. De lourdes et froides allégories encombrent le sujet. L’invention est pauvre : mais n’ai-je pas dit que Boileau n’inventait pas ? il se souvenait. Le fait principal était arrivé dans la Sainte-Chapelle ; les deux épisodes les plus caractéristiques sont aussi pour lui des choses vues : ne dut-il pas être à l’Académie le jour où Tallemant et Charpentier se jetèrent les dictionnaires à la tête, en s’apostrophant rudement ? et ne dut-il pas voir ou entendre conter, en sa jeunesse, comment Retz courba Condé furieux devant sa bénédiction épiscopale ?

La peinture du monde clérical, dans le Lutrin, manque de profondeur psychologique : mais trouvez au XVIIe siècle une représentation de mœurs ecclésiastiques plus exacte et plus vivante. Y a-t-il rien qui puisse suppléer au Lutrin et l’annuler ? L’auteur connaît bien ce monde-là, et je n’en veux qu’une preuve, le moyen très ecclésiastique par lequel le trésorier s’assure la victoire. Ces chantres agenouillés qui enragent, ou fuyant éperdus la main qui les bénit, cela est vrai d’une vérité si spéciale